Après notre précédent article sur le Château de Courbevoie, voici l’histoire du Château des Colonnes qui deviendra le Cynodrome de Courbevoie !
Les quatre principaux châteaux de Courbevoie présents au XVIIIème siècle, auxquels on peut rajouter la Caserne des Suisses, sont souvent décrits pour leur architecture et pour les personnages célèbres qui y ont vécu.
On oublie souvent de citer le devenir des parcs de ces vastes domaines. Or, dans une ville de 4km², les immenses surfaces foncières qu’ils ont laissées ont structuré le réseau viaire et l’urbanisme de la ville.
La Société Historique de Courbevoie vous avait proposé un premier article sur le Château de Courbevoie. Au tour de l’histoire du Château des Colonnes de faire l’objet d’un deuxième article de la même veine.
1/ Du Château à l’Asile Lambrecht
Au 18ème siècle, en 1769, le fermier général Paulze créa une grande et belle « Maison de campagne» à Courbevoie. Il était aussi le beau-père de Lavoisier, le père des lois et principes de la chimie, qui permit le passage de l’alchimie à la chimie moderne. Ce dernier prit également une charge de fermier général.
Tous deux montèrent à l’échafaud pendant la Terreur. « La Révolution n’a pas besoin de savants » avait lancé le président du Tribunal révolutionnaire.
Sous la Révolution, le domaine est transmis en indivision à la famille Talon, entre : Marie-Victoire Talon, épouse Henri d’Escorches, Marquis de Saint-Croix. Marie-Geneviève Talon (Mme de Villaines) et Antoine-Omer Talon, père de Zoé, future Comtesse du Cayla et favorite de Louis XVIII.
La Comtesse du Cayla fit un leg important à la ville et fut inhumée au vieux cimetière de Courbevoie.
En 1797, l’ensemble du Château et de son vaste terrain est racheté par un couple : Saül et Sarah Crémieux, demeurant à Paris place Sainte-Victoire, non loin de la Bourse.
Ils se sont enrichis sous le Directoire mais connaîtront une faillite en 1813. Cependant, en 1797, durant une bonne phase financière, ils décident de modifier le château et s’adressent pour cela à l’architecte Bienaimé.
C’est ce même Bienaimé qui sera par la suite l’architecte de la sœur de Napoléon, Elisa Napoléon qui dirigera en Italie la principauté de Lucques et Piombino où elle avait le désir d’introduire l’architecture parisienne.
Pour Courbevoie, Bienaimé présenta le projet suivant aux époux Crémieux :

Si on développe cette esquisse en 3D, on aperçoit la force de ce projet de style néo-classique.

Ce projet sera modifié par les propriétaires suivants qui agrandiront considérablement le dernier étage.
Puis, de modifications en modifications, on arrivera à l’architecture du « Château Lambrechts »
Entre temps, un industriel, M. Moreau, ayant ses usines à Courbevoie, rachète le château et remodèle entièrement le parc.

On remarque que les deux ailes ne sont pas encore surélevées d’un étage ©Archives ville de Courbevoie
Les jardins à la française disparaissent, il ne subsistera alors que la grande plantation de tilleuls qui borde le parc sous toute sa longueur.
La mode était alors au genre pittoresque. Une vaste collection de statues invitait à la déambulation sur cette pelouse plantée d’arbres de toutes les espèces. Les bustes des douze Césars sont massifs. Un groupe de lutteurs attribués à Canova attirait particulièrement l’attention.
Du Château des Colonnes à l’asile Lambrechts

Les enfants Moreau revendront le château au comte Lambrechts. Ce dernier laissera un testament olographe qui sera ouvert à sa mort en 1823, offrant la propriété à l’assistance publique sous certaines conditions.
Mais ce n’est qu’en 1843 que le leg est pris en compte. Des travaux sont effectués par l’architecte Baltard afin d’adapter les bâtiments à leurs futures fonctions. En 1846 s’ouvre l’asile, conformément aux désirs posthumes de Lambrechts.
Dans son testament, le Comte Lambrechts attribue la moitié du leg à l’achat du bâtiment. L’autre moitié est placée et son produit est affecté à l’entretien. Ce mode de fonctionnement garantissait la pérennité de l’asile.
Il existait aussi une partie école qui recevait de son côté des sommes financées par les utilisateurs pour ses coûts de fonctionnement.
En 1905, le maire, M. Boursier inaugure la Maison Ségoffin sur le terrain limitrophe, qui plus tard rejoindra l’ensemble foncier.
Le développement de l’école normale protestante
Les bâtiments scolaires collés au bâtiment principal vont contribuer à faire la renommée de l’École normale protestante, une des rares, sinon la seule, pendant un certain temps. Des personnes éminentes ont siégé dans celle-ci.

La mutation de l’asile Lambrechts en stade municipal et bâtiments municipaux
En 1931, les locaux de l’asile et de l’école deviennent trop exigus.
Le maire nouvellement élu, M. André Grisoni, conscient du développement de sa ville, désire acheter cet immense espace foncier, notamment pour y construire des équipements pour la ville. Une maquette datant de 1934 indique son ambition.
Dans cet immense quadrilatère occupé par le château et son parc, il désire monter un vaste ensemble, dont un centre de loisirs et une salle polyvalente, car la salle des fêtes derrière la Mairie a fait son temps.

Étant donné le succès du Stade de Rugby de Colombes lors des Jeux olympiques de 1924, il avait eu l’ambition d’un vaste stade de rugby près de Paris, capable d’accueillir les grands matchs internationaux.
La proximité de Paris offre la possibilité de nombreux transports et notamment de la création d’un arrêt SNCF à l’entrée même du stade (l’arrêt Courbevoie-Sport).
Tous les sports devaient pouvoir être pratiqués. Une piste olympique d’athlétisme était prévue, ainsi que des écoles et lycées, des HBM (Habitations Bon Marché) le long du boulevard de Verdun et un centre médico-social près du pont de chemin de fer.
De plus, le plan local d’urbanisme prévoyait le percement d’une avenue nouvelle (Aristide Briand) desservant le stade. En face, un centre de prévention médicale unique en son genre vit le jour, le Centre Winburn.
Enfin, une nouvelle poste ultra-moderne devait parachever l’ensemble.
Ce Corse sympathique commençait mieux son mandat qu’il n’allait achever le dernier … Mais n’anticipons pas !
Les choses prenaient tournure quand, début 1935, la situation change complétement : les arrivées des subventions pour le grand Stade National tardaient. Elles ne devaient jamais arriver.
Le gouvernement avait ses propres difficultés, pris entre les conséquences de la crise de 1929 et le difficile contexte international.
2. Du stade au Cynodrome
Le 25 mai 1935, le député-maire André Grisoni inaugure le grand stade.
Il avait un instant pensé le nommer « Stade André Grisoni » mais devant les diverses réactions, il le baptise plus simplement « Stade Municipal de Courbevoie ».
L’Union Harmonique exécute une marche chantée en son honneur.
Deux mois après, coup de théâtre : le 19 juillet 1935, le Conseil municipal entérine une nouvelle délibération pour attribuer un «Bail pour location du stade municipal (courses de lévriers) ».
Cette volte-face résulte du déficit financier chronique croissant créé par l’absence de la plupart des aides promises par l’État, laissant à la ville un reste à charge de 12,7 millions de francs !
Le gouvernement n’a mis sur la table que 75.000 francs, alors que le député-maire comptait sur une subvention de 5.624.000 francs.
Les Courbevoisiens vont devoir en subir les conséquences. La location du stade devient inévitable et les Courbevoisiens vont se voir privés de toute activité sportive…
La proposition de la société anglaise de courses de lévriers
La société anglaise de courses de lévriers a saisi cette opportunité pour présenter son projet de cynodrome au maire Grisoni.
Le bail estsigné pour 18 ans. Le maire nomme une commission, dont les membres font partie du Conseil municipal, chargée d’établir les avenants.
C’est ainsi que le stade municipal devient le Cynodrome.
Les débuts sont houleux, la société anglaise voulant éliminer toutes les activités sportives destinées à la population courbevoisienne.
Les habitants, constitués en partie par la population ouvrière, sont soutenus par le Parti communiste qui s’éleve contre cet accord.
Les premières manifestations sont marquées par des incidents tels que des pneus crevés sur les belles autos du public par exemple. Ces conflits illustrent la rivalité entre les citoyens privés de leur stade et les parieurs venus là pour s’amuser en buvant du champagne.
L’activité du cynodrome doit s’interrompre un temps avant qu’un accord soit trouvé.
Cela fait la une des journaux et d’une certaine façon, ces péripéties alimentent la publicité. Le cynodrome de Courbevoie occupe le devant de la scène médiatique et devient un lieu incontournable de la vie parisienne.

Le journal l’ILLUSTRATION donnait le témoignage suivant en 1936 :
Des étrangers ou des provinciaux, de passage dans la capitale, demandent parfois à leurs amis :
- Où pouvons-nous passer la soirée pour rencontrer un milieu vraiment parisien, c’est à dire non pas une foule anonyme, mais une élite élégante, où l’on accroche des noms à des personnalités connues ?
A cette question l’on peut répondre :
- Allez au cynodrome !
(…) D’un côté sont les gradins des « populaires ». De l’autre les tribunes du « pesage ». Le mot de tribune est toutefois impropre pour désigner cette vaste construction à étages, qui donne un peu l’impression des ponts superposés d’un transatlantique. Le pesage comporte un restaurant, un bar-fumoir. Mais il n’est lui-même, si l’on peut dire, que la seconde classe. L’assistance de choix ne fréquente que le « privé ». On nomme ainsi le restaurant qui coupe les trois étages supérieurs. Le jeudi soir, notamment, il est presque impossible d’y trouver une place. C’est véritablement le rendez-vous du Tout-Paris. A partir de 8 heures on y dîne. A travers une haute verrière, qui protège des intempéries, on découvre toute la piste, ruisselante de lumière blanche sous les feux des projecteurs. Les courses se succèdent pendant le repas, fort animé. Les paris s’engagent. Cette ambiance originale est une des plus « attractives » de l’actuelle vie parisienne.
Les journaux de modes féminines rivalisaient de reportages sur ce phénomène nouveau.
Le bar du pesage du cynodrome

Les paris
Le principe de pari lors des multiples courses chaque soir était le même que celui des courses hippiques de l’époque.


Les lévriers: des athlètes qui peuvent rapporter gros



Le phénomène médiatique


Les paris et la publicité
Programme officiel des courses. Livret de 16 pages ©archives de CourbevoieSur La couverture du Programme Officiel datant de septembre 1941, on aperçoit la signature d’André Lagrange (1889-1858), dessinateur et peintre.
Sa signature est aussi au bas de l’affiche «courses de lévriers», ci-dessous, dont le graphisme est typique des années 30-40.
Le cynodrome, décor de cinéma : Tricoche et Cacolet
Le film Tricoche et Cacolet, comédie de Pierre Colombier, est tourné en 1938 mais sortira plus tard. Les principaux rôles sont tenus par Fernandel, Elvire Popesco et Duvalles,
Le générique se déroule sur fond d’entrainements-promenades de lévriers. On voit rapidement les principales phases de la course.
Le scénario reprend celui d’une pièce à succès dans laquelle Tricoche et Cacolet dirigent une agence de détectives dont les affaires ne sont pas aussi florissantes qu’ils le souhaiteraient et que les circonstances placent dans une situation délicate…
Le « repos du guerrier » proposé par un journal allemand en 1941
Après la défaite de 1940, les courses continuent pendant l’occupation.
Un magazine allemand, conçu pour les soldats, citait les lieux où les militaires allemands pouvaient se distraire : voir la tour Eiffel ou aller à Pigalle. Mais un article de 3 pages avec photos faisait la publicité du lieu, à Paris, où il faut absolument aller : Le Cynodrome de Courbevoie !
Bien que la société des Courses de lévriers soit anglaise, elle continue à fonctionner et les Allemands viennent le soir pour y souper au restaurant.
Le bombardement de 1943
Les terribles bombardements de 1943 vont interrompre momentanément les courses de lévriers.

Ce sont les Alliés qui ont envoyé des tapis de bombes sur les usines des gares de marchandises de Bécon, proches du stade.
Parmi les cibles les usines Delahaye et d’autres produisant du matériel de Guerre.
On pense aussi à l’Usine des Lampes Z proches de la place Hérold.
Ce bombardement fait disparaître les immeubles qui masquaient l’Eglise… Un autre moyen de faire évoluer l’urbanisme d’une ville !
La Libération sonne le glas du cynodrome
A noter pour la petite histoire que la grande messe en l’honneur de la Libération n’eut pas lieu dans une des différentes églises de Courbevoie, mais sur la pelouse du Stade.
Le retour des prisonniers amène des problèmes d’accueil.
La société anglaise qui gérait le cynodrome refuse son aide, alors qu’ils disposent de locaux dans le stade, de lieux de cuisines et d’espaces de restauration.
La présence du cynodrome est de nouveau un motif d’hostilité. Malgré cela des courses avec paris ont lieu jusqu’en 1951.
Mais par la suite, le Maire Grisoni est accusé d’avoir eu trop de proximité avec les forces ennemies pendant l’occupation et est condamné à une peine d’emprisonnement.
Le cynodrome reconverti en stade après la guerre
Les sportifs récupèrent le stade
Le non-paiement par la société anglaise de courses de lévriers des sommes dues, tant au fisc qu’à la commune, permet de trouver l’argument juridique pour récupérer la gestion du stade, enfin redevenu municipal.
Dans le cadre du nouveau fonctionnement du stade, de nombreux matchs sont disputés, notamment des rencontres de Rugby mais aussi de moto-ball (1946-1947).

Episodes tragiques
L’arrêt brutal des courses de lévriers a un impact catastrophique sur certaines sociétés d’élevage.
Les écuries de lévriers exigent de la nourriture, des soins et des entrainements, car si le prix d’un animal de course atteint des prix de vente élevés, c’est à la condition d’être à un haut niveau de performance.
Un éleveur se trouvant dans une situation désespérée tua tous les animaux de son écurie.
Reprise des activités
Le stade reprend ses activités et continue à rendre de loyaux services jusqu’à une période récente.
Des aménagements ont lieu pour diverses activités, que ce soit pour loger le centre médico-pédagogique, la bibliothèque municipale, le Centre de Loisirs de Courbevoie et le Conservatoire municipal.
Dans le même temps, la Salle des Fêtes derrière l’ancien Hôtel de Ville ne répondant plus aux besoins de la population, il faut aménager une Salle des Fêtes et une Salle des Conférences au stade.
Le Centre Carpeaux est construit en 1991 à l’angle du carrefour de l’avenue Briand et du Boulevard de Verdun. Ce nouveau centre devait accueillir les spectacles exigeant une scène et ses annexes, un cinéma, des conférences et le nouveau Conservatoire municipal de musique.

Le Centre Jean-Pierre Rives voit ensuite le jour ainsi que d’autres lieux visibles sur l’image 3D de 2014 un peu plus bas.
En 1998, un spectacle de courses de lévriers est organisé avec le concours de la Société Française de Courses de Lévriers accompagné d’un pari mutuel.
Le nouveau visage du stade et de l’accompagnement sportif et culturel

Différents bâtiments occupent maintenant cet espace
A l’angle gauche inférieur, la maternelle est devenue l’E-collectif Briand. (en partie caché).
De chaque côté, le lycée Paul Lapie (mixte, général et technologique).
Un peu plus haut une cantine moderne, un gymnase et les salles d’activités accueillant les associations et le club informatique Ciroco.
En haut on aperçoit le rectangle vert du terrain de football de Jean-Pierre Rives. (Une de ses sculptures métalliques est visible à l’entrée du bâtiment d’accueil). Dans celui-ci se trouvent les locaux du Rugby Club de Courbevoie.
En redescendant le long le boulevard de Verdun s’ouvrent les entrées du vaste parking situé sous cet ensemble.
En continuant la descente à l’angle le boulevard de Verdun et de la rue Aristide Briand, on trouve l’espace Carpeaux, sa salle de 500 personnes servant de théâtre, de salle de concert ou de cinéma. Celui-ci est flanqué, d’un côté du fameux jazz club et de l’autre du conservatoire de musique. Dans les sous-sols se trouve le local des archives de la ville.
Enfin, sur l’avenue Aristide Briand, une vaste place met en valeur le Centre Evénementiel avec son espace de réception, ses salles de réunions et de spectacles, dont sa salle de 1000 places.
Le large parvis permet de monter des espaces événementiels, notamment lors de festivals.
Caché derrière cet immense bâtiment nous trouvons le cœur du stade avec ses pistes d’athlétisme et son terrain de rugby.
A propos connaissez-vous le Logo du Rugby Club de Courbevoie ? C’est un LEVRIER !
Bernard Accart