Le Cynodrome de Courbevoie (1935-1951)

Du stade au Cynodrome

Le 25 mai 1935, le député-maire André Grisoni inaugure le grand stade.

Il avait un instant pensé le nommer « Stade André Grisoni » mais devant les diverses réactions, il le baptise plus simplement  « Stade Municipal de Courbevoie ».

L’Union Harmonique exécute une marche chantée en son honneur.

Deux mois après, coup de théâtre : le 19 juillet 1935, le Conseil municipal entérine une nouvelle délibération pour attribuer un «Bail pour location du stade municipal (courses de lévriers) ».

Cette volte-face résulte du déficit financier chronique croissant créé par l’absence de la plupart des aides promises par l’État, laissant à la ville un reste à charge de 12,7 millions de francs !

Le gouvernement n’a mis sur la table que 75.000 francs, alors que le député-maire comptait sur une subvention de 5.624.000 francs.

Les Courbevoisiens vont devoir en subir les conséquences. La location du stade devient inévitable et les Courbevoisiens vont se voir privés de toute activité sportive…

La proposition de la société anglaise de courses de lévriers

La société anglaise de courses de lévriers a saisi cette opportunité pour présenter son projet de cynodrome au maire Grisoni.

Le bail est signé pour 18 ans. Le maire nomme une commission, dont les membres font partie du Conseil municipal, chargée d’établir les avenants.

C’est ainsi que le stade municipal devient le Cynodrome.

Les débuts sont houleux, la société anglaise voulant éliminer toutes les activités sportives destinées à la population courbevoisienne.

Les habitants, constitués en partie par la population ouvrière, sont soutenus par le Parti communiste qui s’élève contre cet accord.

Les premières manifestations sont marquées par des incidents tels que des pneus crevés sur les belles autos du public par exemple. Ces conflits illustrent la rivalité entre les citoyens privés de leur stade et les parieurs venus là pour s’amuser en buvant du champagne.

L’activité du cynodrome doit s’interrompre un temps avant qu’un accord soit trouvé.

Cela fait la une des journaux et d’une certaine façon, ces péripéties alimentent la publicité. Le cynodrome de Courbevoie occupe le devant de la scène médiatique et devient un lieu incontournable de la vie parisienne.

Le succès du Cynodrome étonna et resta longtemps dans l’inconscient collectif des habitants. Les courses de lévriers étaient alors peu courantes en France, au contraire de la Grande-Bretagne. Comme pour les courses de chevaux, elles permettaient des paris mutuels.

La société anglaise qui exploitait le site sut créer un décorum et une ambiance qui attira le tout Paris. Les courses avaient lieu le soir avec une scénographie créée par une illumination très travaillée du stade. On pouvait y assister en dinant. Un restaurant chic, « le privé », entièrement vitré et protégé des éléments y avait été aménagé. On pouvait ainsi sortir, se montrer, dîner et suivre les paris engagés.

Les journaux à la mode, comme les feuilles de choux, donnaient des comptes rendus mondains en plus des résultats des courses. Les célébrités allaient se montrer et s’encanailler dans ce lieu étonnant. La notoriété de ce Cynodrome, à la fois mondain et populaire, alimentait les journaux provinciaux et ceux des colonies les plus lointaines, même à l’étranger.

Le succès était tel que la SNCF avait spécialement établi un arrêt au pied du stade : La Halte de Courbevoie sport (dont on voit encore les vestiges des marches de chaque côté du pont de chemin de fer de la rue de Colombes). Il existait même des billets groupés comprenant le prix du voyage et l’entrée du Cynodrome. Les préposés de la gare Saint-Lazare s’entendaient demander « Un billet pour les chiens SVP ! ».

ADAM. Magazine de mode. Novembre 1938 Parieurs faisant la queue. ©BNF Gallica
ADAM. Magazine de mode. Novembre 1938 Parieurs faisant la queue. ©BNF Gallica

Le journal l’ILLUSTRATION donnait le témoignage suivant en 1936 :

Des étrangers ou des provinciaux, de passage dans la capitale, demandent parfois à leurs amis :

  • Où pouvons-nous passer la soirée pour rencontrer un milieu vraiment parisien, c’est à dire non pas une foule anonyme, mais une élite élégante, où l’on accroche des noms à des personnalités connues ?

A cette question l’on peut répondre :

  • Allez au cynodrome !

(…) D’un côté sont les gradins des « populaires ». De l’autre les tribunes du « pesage ». Le mot de tribune est toutefois impropre pour désigner cette vaste construction à étages, qui donne un peu l’impression des ponts superposés d’un transatlantique. Le pesage comporte un restaurant, un bar-fumoir. Mais il n’est lui-même, si l’on peut dire, que la seconde classe. L’assistance de choix ne fréquente que le « privé ». On nomme ainsi le restaurant qui coupe les trois étages supérieurs. Le jeudi soir, notamment, il est presque impossible d’y trouver une place. C’est véritablement le rendez-vous du Tout-Paris. A partir de 8 heures on y dîne. A travers une haute verrière, qui protège des intempéries, on découvre toute la piste, ruisselante de lumière blanche sous les feux des projecteurs. Les courses se succèdent pendant le repas, fort animé. Les paris s’engagent. Cette ambiance originale est une des plus « attractives » de l’actuelle vie parisienne.

Les journaux de modes féminines rivalisaient de reportages sur ce phénomène nouveau.

Le bar du pesage du cynodrome

Le numéro Illustration n° 4889 de novembre 1936 consacre un article sur le cynodrome de Courbevoie. Les dessins reproduits sont de J. Simon. Les contacts et mentions légales sont sur le site de l’Illustration : info@illustration.com. 33 (0)1 78 76 72 78
Le numéro Illustration n° 4889 de novembre 1936 consacre un article sur le cynodrome de Courbevoie. Les dessins reproduits sont de J. Simon. Les contacts et mentions légales sont sur le site de l’Illustration : . 33 (0)1 78 76 72 78

Les paris

Le principe de pari lors des multiples courses chaque soir était le même que celui des courses hippiques de l’époque.

Au privé ©Adam BNF Gallica
Au privé ©Adam BNF Gallica

 

On prend les paris ©illustration n°4889. Dessin J. Simon
On prend les paris ©illustration n°4889. Dessin J. Simon

Les lévriers : des athlètes qui peuvent rapporter gros

Illustra􀆟on Au privé ©Adam BNF Gallica On prend les paris ©illustration n°4889. Dessin J. Simon Présentation des chiens avant la course ©illustration n°4889 novembre 1936. Dessin J. Simon
Présentation des chiens avant la course ©illustration n°4889 novembre 1936. Dessin J. Simon
Départ de Lévriers. Photo Point de vue et Image du monde. 22 novembre 1945 ©BNF Gallica
Départ de Lévriers. Photo Point de vue et Image du monde. 22 novembre 1945 ©BNF Gallica
Le privé, l’endroit où il faut être vu
Le restaurant à trois étages du "privé" composition de J. Simon ©L’illustration n° 4889. Composition de J. Simon
Le restaurant à trois étages du « privé » composition de J. Simon ©L’illustration n° 4889. Composition de J. Simon

Le phénomène médiatique

Sous les feux de la rampe. Les lévriers sur la piste et le « « Privé » en décor de fond ©L’illustration
Sous les feux de la rampe. Les lévriers sur la piste et le « « Privé » en décor de fond ©L’illustration
Fêtes France Belgique en mai 1938 devant le "Privé". ( M. André Grisoni est le 4ème à partir de la gauche). ©archives de la ville
Fêtes France Belgique en mai 1938 devant le « Privé ». ( M. André Grisoni est le 4ème à partir de la gauche). ©archives de la ville

Les paris et la publicité

Programme officiel des courses. Livret de 16 pages ©archives de Courbevoie
Programme officiel des courses. Livret de 16 pages ©archives de Courbevoie

Sur la couverture du Programme Officiel datant de septembre 1941, on aperçoit la signature d’André Lagrange (1889-1858), dessinateur et peintre.

Sa signature est aussi au bas de l’affiche «courses de lévriers», ci-dessous, dont le graphisme est typique des années 30-40.

Cynodrome de Courbevoie
Publicités pour les courses de lévriers au Cynodrome de Courbevoie

 

Le cynodrome, décor de cinéma : Tricoche et Cacolet (1938)

Une des affiches de Tricoche et Cacolet
Une des affiches de Tricoche et Cacolet

Le film Tricoche et Cacolet, comédie de Pierre Colombier, tournée en 1938 avec Fernandel, Elvire Popesco et Duvalles,

Inspiré d’une ancienne pièce de théâtre, il présente une histoire qui débute dans le Stade de Courbevoie, devenu lieu à la mode depuis sa transformation en Cynodrome de 1936 à 1951.

Après un long générique défilant sur fond d’images de lévriers, une partie du film, au début, se passe dans la « salle du privé » d’où l’on voit la course.

 

Le «  repos du guerrier » proposé par un journal allemand en 1941

Après la défaite de 1940, les courses continuent pendant l’occupation.

De nos jours, on se questionne encore pour savoir quels étaient les rapports entre la société anglaise gérant les courses et les autorités militaires allemandes présentes en 1942.

On trouve même dans les  archives de la mairie de Courbevoie, une revue allemande destinée aux distractions des soldats. Entre des réclames pour le charme de Pigalle ou le Moulin Rouge s’étalait un article de 3 pages illustrées de photos faisait la publicité du lieu, à Paris, où il faut absolument aller : Le Cynodrome de Courbevoie !

Cynodrome de Courbevoie prise en 1941 par le Der Deutche Wegleiter. ©archives de Courbevoie (à noter la parfumerie Lubin avec sa cheminée en arrière-plan)

Bien que la société des Courses de lévriers soit anglaise, elle continue à fonctionner et les Allemands viennent le soir pour y souper au restaurant.

Le bombardement de 1943

Les terribles bombardements de 1943 vont interrompre momentanément les courses de lévriers.

Stade de Courbevoie après bombardement
Stade de Courbevoie après bombardement

Ce sont les Alliés qui ont envoyé des tapis de bombes sur les usines des gares de marchandises de Bécon, proches du stade.

Parmi les cibles les usines Delahaye et d’autres produisant du matériel de Guerre.

On pense aussi à l’Usine des Lampes Z proches de la place Hérold.

Ce bombardement fait disparaître les immeubles qui masquaient l’Eglise… Un autre moyen de faire évoluer l’urbanisme d’une ville !

La Libération sonne le glas du cynodrome

A noter pour la petite histoire que la grande messe en l’honneur de la Libération n’eut pas lieu dans une des différentes églises de Courbevoie, mais sur la pelouse du Stade.

Le retour des prisonniers amène des problèmes d’accueil.

La société anglaise qui gérait le cynodrome refuse son aide, alors qu’ils disposent de locaux dans le stade, de lieux de cuisines et d’espaces de restauration.

La présence du cynodrome est de nouveau un motif d’hostilité. Malgré cela des courses avec paris ont lieu jusqu’en 1951.

Mais par la suite, le Maire Grisoni, accusé d’avoir eu trop de proximité avec les forces ennemies pendant l’occupation, est condamné à une peine d’emprisonnement.

Le cynodrome reconverti en stade après la guerre

Les sportifs récupèrent le stade

Le non-paiement par la société anglaise de courses de lévriers des sommes dues, tant au fisc qu’à la commune, permet de trouver l’argument juridique pour récupérer la gestion du stade, enfin redevenu municipal.

Dans le cadre du nouveau fonctionnement du stade, de nombreux matchs sont disputés, notamment des rencontres de Rugby mais aussi de moto-ball (1946-1947).

Le championnat de France de moto-ball. Courbevoie a réalisé le nul (3-3) contre Carpentras ©BNF Gallica
Le championnat de France de moto-ball. Courbevoie a réalisé le nul (3-3) contre Carpentras ©BNF Gallica

Episodes tragiques

L’arrêt brutal des courses de lévriers a un impact catastrophique sur certaines sociétés d’élevage.

Les écuries de lévriers exigent de la nourriture, des soins et des entrainements, car si le prix d’un animal de course atteint des prix de vente élevés, c’est à la condition d’être à un haut niveau de performance.

Un éleveur se trouvant dans une situation désespérée tua tous les animaux de son écurie.

Reprise des activités

Le stade reprend ses activités et continue à rendre de loyaux services jusqu’à une période récente.

Des aménagements ont lieu pour diverses activités, que ce soit pour loger le centre médico-pédagogique, la bibliothèque municipale, le Centre de Loisirs de Courbevoie et le Conservatoire municipal.

Dans le même temps, la Salle des Fêtes derrière l’ancien Hôtel de Ville ne répondant plus aux besoins de la population, il faut aménager une Salle des Fêtes et une Salle des Conférences au stade.

Le Centre Carpeaux est construit en 1991 à l’angle du carrefour de l’avenue Briand et du Boulevard de Verdun. Ce nouveau centre devait accueillir les spectacles exigeant une scène et ses annexes, un cinéma, des conférences et le nouveau Conservatoire municipal de musique.

Présentation de la maquette du centre Carpeaux qui vit le jour en 1991 ©archives de la ville ives
Présentation de la maquette du centre Carpeaux qui vit le jour en 1991 ©archives de la ville ives

Le Centre Jean-Pierre Rives voit ensuite le jour ainsi que d’autres lieux visibles sur l’image 3D de 2014 un peu plus bas.

En 1998, un spectacle de courses de lévriers est organisé avec le concours de la Société Française de Courses de Lévriers accompagné d’un pari mutuel.

Course de lévriers en 1998

Le nouveau visage du stade et de l’accompagnement sportif et culturel

Vue aérienne du plan masse occupé par l'ancien château et le projet global projeté en 2014 ©Ville de Courbevoie
Vue aérienne du plan masse occupé par l’ancien château et le projet global projeté en 2014 ©Ville de Courbevoie

Différents bâtiments  occupent maintenant cet espace

A l’angle gauche inférieur, la maternelle est devenue l’E-collectif Briand. (en partie caché).

De chaque côté, le lycée Paul Lapie (mixte, général et technologique).

Un peu plus haut une cantine moderne, un gymnase et les salles d’activités accueillant les associations et le club informatique Ciroco.

En haut on aperçoit le rectangle vert du terrain de football de Jean-Pierre Rives. (Une de ses sculptures métalliques est visible à l’entrée du bâtiment d’accueil). Dans celui-ci se trouvent les locaux du Rugby Club de Courbevoie.

En redescendant le long le boulevard de Verdun s’ouvrent les entrées du vaste parking situé sous cet ensemble.

En continuant la descente à l’angle le boulevard de Verdun et de la rue Aristide Briand, on trouve l’espace Carpeaux, sa salle de 500 personnes servant de théâtre, de salle de concert ou de cinéma. Celui-ci est flanqué, d’un côté du fameux jazz club et de l’autre du conservatoire de musique. Dans les sous-sols se trouve le local des archives de la ville.

Enfin, sur l’avenue Aristide Briand, une vaste place met en valeur le Centre Evénementiel avec son espace de réception, ses salles de réunions et de spectacles, dont sa salle de 1000 places.

Le large parvis permet de monter des espaces événementiels, notamment lors de festivals.

Caché derrière cet immense bâtiment nous trouvons le cœur du stade avec ses pistes d’athlétisme et son terrain de rugby.

À propos connaissez vous le Logo du Rugby Club de Courbevoie ? C’est un LÉVRIER !

Bernard Accart