Qui connait l’histoire de la manufacture des Lampes Z et leur localisation à Courbevoie ?
Peu de Courbevoisiens le savent, pourtant cette immense usine était présente dans le cœur de ville de la première à la deuxième guerre mondiale. Elle était située à proximité de la place Hérold, rue de la Garenne (actuellement rue Jean-Pierre Timbaud) juste en face de l’Hôtel de Guînes.
Auparavant, se trouvait à cet emplacement, le Parc de l’institution Notre-Dame. Une partie du terrain fut vendue et, en 1902, le beau parc fut remplacé par une usine de fabrication de lampes électriques.
Dans son ouvrage « Deux siècles à Courbevoie à l’ombre de l’Hôtel de Guînes » Henri de Frémont raconte comment le propriétaire de l’époque, François de Salles, découvre les lieux après un temps d’absence : « En face de ma maison, rue de la Garenne, le beau parc du pensionnat Notre-Dame avait fait place à une usine immense – sans cheminée, Dieu merci ! – qui étalait ses toits en dents de scie, surmontant un long , interminable mur décoré de multiples inscriptions : « Lampes Z » du plus pitoyable effet ».
Les « Lampes Z »
L’incandescence électrique était à l’époque une véritable révolution. L’usine des Lampes Z de l’industriel Lacarrière employait près de 300 personnes et avait son siège social à Paris rue de la Victoire puis boulevard Malesherbes.
Voici comment la revue scientifique Le Génie Civil du 25 janvier 1908 décrivait cette nouveauté:
Lampes électriques à filament de tungstène.
Après les lampes au tantale, décrites il y a quelque temps dans le Génie Civil et aujourd’hui entrées dans l’usage courant, il est intéressant de signaler deux autres types de lampes à filament de tungstène, dont le premier est depuis peu dans le commerce, en France, et dont le second est fabriqué en Autriche.
Les lampes zircone-wolfram, dites lampes Z, fabriquées en France par la Société Lacarrière, de Paris, possèdent un filament a plusieurs branches en V; chacune d’elles est fixée d’une part à des attaches métalliques soudées à la tige isolante qui occupe l’axe de l’ampoule; de l’autre, par des ressorts, à un anneau métallique, également soudé à la tige isolante. Les différentes branches, dont le nombre varie avec l’intensité lumineuse désirée, sont montées en
série.
La tige centrale, maintenue par un crochet en verre, visible à la partie inférieure de la
figure 1, est enduite d’une substance absorbant les vapeurs qu’émet peu à peu le fila-
ment, et qui noirciraient l’ampoule.
Pour les types de 13 à 20 bougies, le voltage aux bornes doit être de 35 à 40 volts; on groupe donc trois lampes en série sur un circuit à 110-120 volts, tandis que les lampes de 20 et 30 bougies, absorbant 55 à 60 volts, vont par deux sur ce circuit. Enfin, des lampes de 40 à 160
bougies se branchent directement sur un circuit à 110 volts, continu ou alternatif.
Des essais, faits en Allemagne, ont donné des consommations de 0,8 à 1,3 watt par bougie; on peut compter en moyenne 1 watt par bougie. La durée d’une lampe dépasse 1000 heures.
Un article paru dans La Science et la Vie de 1918 décrit le processus de fabrication et les nombreuses photos sont principalement prises dans l’usine de Courbevoie.
La lampe électrique à filament métallique vit le jour en 1899. Parmi les divers métaux essayés, le tungstène qui ne fond qu’à 3180 degrés fut retenu par les lampes Z. Le fil de tungstène peut s’étirer au 1/100e de mm et donne une lumière davantage blanche. Sa durée de vie est d’environ 1500 heures.
Quotidiennement, 300 ouvrières produisent dans ce vaste atelier des milliers de lampes de toutes les puissances. Des lingots de tugstène sont réduits en un gros fil de quelques mètres de long puis en filament après des séries de tréfilages dans des bancs à étirer (200 à 250 passes dans des filières de plus en plus fines pour devenir plus fin que le cheveu le plus fin).
Les filières sont en diamant. Les fils avant d’y être introduits, sont enduits de graphite et l’ensemble chauffé au rouge sur une rampe à gaz. Enfin le fil de tungstène est enroulé sur une bobine. Dix kilomètres de ce fil forment une bobine grosse comme trois doigts.
C’est à l’opposé de « la Corderie » du quartier de Bécon fabriquant entre autres les câbles métalliques destinés à relier le continent américain pour les communications transatlantiques.
On ne détaillera pas le reste des opérations complexes : la disposition du fil sur son support, la construction de l’ampoule, la création du vide, l’assemblage, l’étalonnage photométrique et le contrôle final par groupes de cent.
Lorsque l’on examine en détail l’ensemble des procédés utilisés on prend conscience des connaissances scientifiques et technologiques et du savoir faire de ces centaines d’entreprises de Courbevoie présentes en grand nombre à Courbevoie à l’époque.
C’est d’ailleurs ces savoir-faire industriels dans les domaines les plus variés qui expliquent l’importance des bombardements subis par la ville en septembre et décembre 1943.
Les Lampes Z étaient-elles visées par le bombardement de septembre 1943 ?
Le 15 septembre 1943 Courbevoie fut bombardée. Sur une carte de Courbevoie datant de l’époque, les points d’impacts des bombes sont indiqués (les bombes non éclatées figurent en rouge). Le secteur industriel autour de la gare de Bécon était particulièrement visé. Les dégâts furent également importants le long de la rue de Colombes.
L’usine des lampes Mazda fut une cible car elle restait alors la seule en Europe pouvant fabriquer des lampes miniatures pour émetteurs après la destruction des lampes Philips de Hollande. Cette hypothèse est communiquée par Henri de Frémont propriétaire de l’Hôtel de Guînes situé juste en face de l’usine. Celle-ci fut incendiée et détruite.
La place Hérold, toute proche, fut complètement dévastée. Environ 300 logements furent détruits. Les maisons et immeubles de part et d’autre de l’Eglise disparurent.
Après-guerre, le réseau viaire resta dans la même configuration alors même que les immeubles ne furent pas reconstruits. Le tout voiture étant à l’honneur à l’époque, la place libre devant l’église se transforma en un vaste parking.
Ce n’est qu’en 2015 qu’un projet d’urbanisme redessina la place Hérold et ses espaces limitrophes sur 15 000m² .
La reconstruction de la Place Hérold en deux temps
L’histoire de la place Hérold est un sujet en soi qui sera traité spécifiquement dans un prochain article.
Cette place représente l’image du cœur primitif de notre ville, avec l’église, le vieux cimetière, et la Mairie. Après 1943, les immeubles masquant l’église ont disparu, mais c’était la guerre et il a été nécessaire de remettre en fonctionnement ce carrefour majeur en urgence. Les gravats ont été déblayés et le réseau viaire remis en état à l’identique.
Après-guerre, la reconstruction des logements détruits s’est opérée en gardant le tracé du réseau viaire primitif. Les fidèles butaient sur la circulation en sortant de l’église. De l’autre côté de la route l’espace disponible pour les sorties de cérémonies de mariages et enterrements était dévolu à un vaste parking.
Sur le plan de 1873 ci-après, la Place de l’église n’avait pas encore le nom de place Hérold.
Sur le plan de 1975, les habitations devant l’église ont disparu. On voit en pointillé l’ilot de voirie en triangle et le parking en face de la sortie de l’église.
Ces surfaces vont être redonnées : aux piétons, pour l’aménagement de jets d’eau, afin de créer une lame d’eau rafraichissante, pour la plantation d’arbres sur les deux côtés afin que le nouveau « Parvis de l’Abbé Pierre » mette en valeur l’église Saint-Pierre, Saint-Paul. Le sol n’est plus incliné, ce qui facilite le déplacement des circulations douces et des marches en contrebas créant un effet belvédère.
lI est apparu nécessaire de transformer en profondeur ce carrefour routier en une véritable place urbaine adaptée aux déplacements contemporains, en créant un paysage mettant en valeur l’Eglise. L’idée est de convertir un lieu de transit en lieu de destination.
Il a fallu attendre 2015 pour qu’une vaste concertation se fasse avec le Conseil Général des Hauts de Seine pour modifier au préalable le carrefour, afin de restreindre l’emprise routière, donner plus d’espace aux nouvelles mobilités.
Après cette concertation, la mise en œuvre d’un concours d’urbanisme a permis de valoriser le paysage et magnifier la présence de l’église. Trois vues de la place Hérold résument cette évolution.
Trois images, trois étapes de l’histoire de l’urbanisme de Courbevoie
La place Hérold sera, bientôt, le point d’aboutissement d’un vaste mail végétalisé reliant La Défense à cette place. Le Tunnelier introduit avenue Gambetta a franchi la Seine depuis plusieurs mois.
Bientôt, les enfants joueront le long de ce mail arboré en cours de réalisation et les habitants vaqueront à leurs occupations tandis que, 30 m sous terre, le RER Eole acheminera silencieusement sous l’avenue Gambetta, les 6 500 passagers quotidiens.
Cela nous éloignera du temps des carrioles à cheval de l’époque 1900 et du tout automobile de l’après-guerre.
On ne peut clore ces rappels historiques sans évoquer la terrible pénurie de logements de l’après-guerre.
Tout le monde connait l’appel radiophonique de l’abbé Pierre le 1er février 1954. En fait l’origine de ce message remonte au 31 janvier 1954 : lors de 6 messes à l’Eglise Saint-Pierre-Saint-Paul de Courbevoie fut lancé l’appel à la solidarité envers les sans-logis. Une femme venait de mourir gelée dans la rue. Le jour même la ville ouvre son premier centre d’accueil.
Ce fait sera cité dans le discours du 1er février 1954 et un mot de remerciement sera envoyé à la ville par l’abbé Pierre. Cette lettre est reproduite sur une plaque commémorative devant l’église.
Pour cette raison l’aménagement du nouvel espace devant l’église a reçu le beau nom de « Parvis de l’Abbé Pierre ».
Bernard ACCART, président de la Société Historique de Courbevoie.
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