L’Ouest parisien possède un patrimoine architectural remarquable et varié. Courbevoie en est un exemple particulièrement riche. La Société Historique de Courbevoie vous invite au lancement de cette exploration.
La métamorphose urbaine
En 1850, l’environnement de Courbevoie était encore champêtre. L’économie locale s’était développée grâce à la présence de la Caserne des Suisses, devenue la Caserne de la Garde Impériale.
L’axe historique reliait directement cette caserne aux Tuileries grâce à la présence du Pont de Neuilly, il constituait également un accès au Château de Saint-Germain.
Michelet disait « Si vous voulez connaître l’histoire de l’Ile de France, étudiez celle de la Royauté ».
Cet axe royal explique effectivement la présence à Courbevoie de ces châteaux et belles demeures. Les propriétaires, courtisans ou grands commis de l’Etat désiraient rester au plus près du pouvoir.
Après la Guerre de 1870, le paysage urbain va se métamorphoser avec l’extraordinaire développement industriel.
La proximité de Paris, la présence de la Seine et d’un port, l’arrivée successive de deux gares, la disponibilité de surfaces foncières bon marché vont bouleverser le visage de la ville.
Les beaux châteaux vieillissants environnés de vastes parcs vont être remplacés par des lotissements et des usines (voir notre article sur l’usine des Lampes Z).
Le nombre d’habitants va considérablement s’accroître et l’urbanisme de la ville va suivre, de la maison ouvrière ou bourgeoise aux immeubles de rapports.
Les évolutions techniques et artistiques
Dans cette période, les techniques de construction progressent de façon incessante :
- La brique plusieurs fois millénaire va profiter des technologies nouvelles issues des progrès de la chimie.
- De nouveaux fours et séchoirs alimentés par le bois, le charbon où le gaz voient le jour.
Les 3 couleurs naturelles admises (rouge, jaune pâle et noir) vont se compléter de briques vernissées, de terre cuites et de faïences.
Les expositions universelles vont diffuser les connaissances sur la diversité des matériaux.
En 1878, un ouvrage au titre révélateur paraît : « La brique ordinaire du point de vue décoratif »
A partir de 1880, la brique associée au fer permet de modifier les prouesses des architectes, du point de vue technique et décoratif. La Meulière connaît également un succès en Ile-de-France.
La petite bourgeoisie quitte progressivement Paris pour la banlieue et peut bénéficier de maisons parfois modestes mais agréables.
Les entreprises se développant, l’économie profite à la grande bourgeoisie.
Ceux qui n’ont pas la possibilité de financer la pierre de taille, vont cependant demander aux architectes de dessiner des façades flatteuses richement décorées.
L’architecte, de son côté, rêve de montrer son talent. Les fournisseurs de faïences vernissées ou de mosaïques, éléments valorisants pour les façades sont très demandées.
A Billancourt, Gentil & Bourdet fonde en 1901 une entreprise des mosaïques spéciales associant des grès mat ou brillant, l’or, la pâte de verre, le ciment teinté etc…
La banlieue présentant auparavant des façades en plâtre blanc pas toujours ravalées devient plus colorée.
Les nouveaux matériaux, les architectes, et les bâtisseurs
La brique prend ses lettres de noblesse et se diffuse dans le paysage urbain.
On peut encore les découvrir dans de nombreuses rues pour tous types de constructions : maisons individuelles, immeubles de rapport, écoles ou bâtiments publiques ou encore logements sociaux.
Les bâtiments industriels (Usine Delage par exemple) associent la brique et le métal avec des appareillages en brique aux effets décoratifs variant à l’infini. (voir le bâtiment en brique adossé au Pavillon des Indes en bois).
Des écoles d’architectes apparaissent à côté des entrepreneurs, des ingénieurs et des géomètres. La profession d’architecte achèvera de se réglementer qu’en 1941.
L’architecte possède alors une grande liberté créatrice. Il opère dans un moment de civilisation où les évolutions sont incessantes dans de nombreux domaines : techniques du bâtiment, créations artistiques, changements socio-économiques, bouleversements dans les arts picturaux.
Les architectes de banlieue rêvent de se faire remarquer pour ensuite conquérir Paris.
Les décorations vernissées ou les faïences associées à la brique ou à la meulière sont abondantes et à redécouvrir à Courbevoie.
Les ornements entourant le portail d’entrée du 14, rue Gallieni sont l’œuvre des céramistes Janin et Guérineau.
La recherche technique et artistique sur la céramique dépasse le champ de l’architecture. Un exemple remarquable est donné par l’extraordinaire travail de Théodore Deck (1823-1891).
Une exposition a été organisée par le Musée Roybet Fould en 2018. On pouvait y découvrir le « Bleu Deck » et les plaques émaillées destinées au décor de l’Orangerie du Parc de Bécon.
L’effervescence scientifique, technique, architecturale – la Tour Eiffel ! – existe dans tous les domaines, y compris dans l’art pictural.
En quelques décennies, on passera de la peinture classique aux impressionnistes puis à l’art abstrait à partir de la première guerre mondiale.
Les styles architecturaux vont évoluer et se succéder
Courbevoie du milieu du XIX° au XX° siècle vivra cette évolution incessante des styles architecturaux avec passion.
Cette évolution coïncidera avec le développement économique et social de sa population et les constructions épouseront les variations de styles successifs : l’Eclectisme, l’Art Nouveau, l’Art déco, le Modernisme…
Courbevoie étant une ville dense, ces transformations sont visibles dans un périmètre de 4km². Permettant ainsi des promenades architecturales passionnantes.
Cependant, pour goûter à cette diversité, il est préférable de s’informer en amont pour acquérir les repères et les connaissances de bases et éviter la phase indigente classique : « A Courbevoie, l’architecture manque d’unité… ».
D’autres types de constructions sont également intéressantes à découvrir.
La ville, de par son passé industriel, avait une population populaire nécessitant des équipements, des établissements scolaires ou sportifs et des logements sociaux remarquables innovants comme les immeubles Michelin dont la construction va de 1929 à 1932.
Dans la même période, l’architecte Nanquette Florent de son côté construira plusieurs habitations à bon marché ( Rue Massenet et Mission Marchand).
Toujours dans les années 30 il réalisera de nombreux bâtiments scolaires dont le groupe scolaire Aristide-Briand et les Lycées Paul Lapie et Painlevé.
Les architectes ont du talent
Par ailleurs, beaucoup des architectes remarquables, domiciliés ou ayant travaillé à Courbevoie dans cette période présentent également des œuvres dans les villes limitrophes : Colombes, Bois-Colombes, La Garenne-Colombes, Asnières, Nanterre. Dans une moindre mesure également à Puteaux, Clichy, Neuilly, Suresnes.
Une présence de leurs œuvres s’observe de façon dégressive dans d’autres villes du département à fur et à mesure que l’on s’éloigne de Courbevoie.
On peut donc parler pour la plupart d’entre eux « d’architectes locaux ».
Il est alors intéressant lorsque l’on étudie les œuvres d’un architecte ayant travaillé à Courbevoie, de jeter un œil sur ses autres ouvrages construits dans les communes limitrophes. Cela permet de mieux comprendre les inspirations et les motivations de leur art et de se familiariser davantage avec l’œuvre de chaque artiste.
Certains s’associent, comme Eugène Coulon et les frères Paul et Albert Leseine.
Il est intéressant de constater que les frères Leseine ont construit un seul petit immeuble à Courbevoie, rue Ségoffin, alors que leurs œuvres sont très nombreuses à Colombes. Les connaître permet de mieux apprécier l’œuvre unique à Courbevoie. Ces trois architectes en s’associant ont pu construire dans un périmètre géographique élargi.
Les différentes déclinaisons d’un même plan de villa standard, nous font découvrir d’intéressantes variations modifiant complètement l’aspect final (voir les trois exemples ci-dessus). Il est aussi intéressant de remarquer comment une même maison assortie à différents environnements semble métamorphosée.
La Société Historique de Courbevoie en créant son site permettra d’exposer régulièrement dans le temps ces études. La Société propose d’étudier le travail de ces « architectes locaux » en rédigeant des monographies avec cette vision élargie. Cette démarche peut nous donner des clefs pour mieux apprécier leurs œuvres. Cela peut également faciliter par la suite des rencontres et des échanges avec ces villes limitrophes.
Nous invitons les passionnés d’architecture à participer à cette étude.
L’apport du béton armé
La découverte du béton armé va permettre aux architectes de diminuer l’importance des éléments porteurs, d’agrandir les baies, de faire rentrer la lumière.
Et cela permettra aussi aux architectes de partir à la conquête de la hauteur. La hiérarchie des étages va se modifier : l’ascenseur va permettre d’anoblir le dernier étage. L’étage haut domine par la vue offerte, donne la pleine lumière et l’éloignement de la rue diminue le bruit et la poussière.
Le béton armé libère la forme qui se plie alors à la pensée. Il va permettre de créer une nouvelle architecture où la notion de décoration se modifie. Plus la façade se dépouille des ornements, plus elle simplifie son esthétique.
Enfin une belle frise ou un joli décor en céramique vernissé disposée à 50 m de hauteur disparaitra de la vue au niveau du sol.
Cependant, si le béton nu séduit très tôt des architectes audacieux, on cherche encore un matériau simple pour le recouvrir.
La brique hier utilisée pour des décorations kaléidoscopiques, va par exemple, en alignant ses joints verticaux et en agrandissant ses joints horizontaux, créer de longues lignes horizontales et ainsi va pouvoir s’adapter à la rigueur moderniste.
Du Style Art Déco au Modernisme
Deux exemples intéressants seront cités :
Barbier Marcel, auteur commanditaire de sa villa vers 1934. Les sculptures du bandeau sont de style Art déco avec des motifs de fleurs et d’oiseaux stylisés. Il fait partie d’une dynastie d’architecte commençant avec Barbier Eugène, Architecte voyer de Courbevoie, puis Barbier Julien, Architecte de l’Eglise Saint-Maurice -de-Bécon (1907 à 1910) et Barbier Léon Architecte à La Garenne-Colombes. La saga se termine par Barbier Marcel architecte du lotissement de l’impasse-Marcel et de la villa Maurice-André. Parmi les nombreux autres architectes de cette période à Courbevoie citons encore :
Debat-Ponsan, reçu architecte à l’Ecole des beaux-arts promotion 1903 et reçu Grand prix de Rome en 1912. Il a réalisé en 1934 l’Hôtel de Ville de Boulogne-Billancourt. Parmi ses nombreuses fonctions il sera Architecte en chef des PTT à partir de 1928. Il réalisera en 1939 ce bureau de poste à Courbevoie. Le bâtiment est en ossature en ciment armé avec une façade bouchardée et peinte.
Avant-guerre on voit se construire à Courbevoie et dans les villes limitrophes de très nombreux immeubles adoptant des bow-windows en colonne et des balcons pour rompre la monotonie de la façade. Ces ouvrages combinent béton, brique et parfois des carreaux de verre. Une grande diversité de parements va prendre la relève. Un immeuble de grande hauteur vu à une grande distance ne gagnera pas en esthétique par les détails du décor de sa façon, mais dans sa structure générale et son jeu avec le grand paysage, d’où par la suite, le succès des immeubles miroirs dont l’esthétique compose avec le ciel.
Evolution de l’architecture de l’après-guerre à Courbevoie
Comme les autres villes de l’Ouest parisien, Courbevoie subira après-guerre la mutation vers l’ activité Tertiaire. L’arrivée de La Défense sur une partie de son territoire, comme pour Puteaux, aura un impact considérable.
Dans cette période de reconstruction et de baby-boom, la demande de logements est particulièrement forte. L’explosion des grands ensembles et des tours est bienvenue. Les taudis sont détruits et les bâtisseurs valorisés.
À Courbevoie on note trois particularités :
1/ D’une part, dans le centre-ville, la destruction des casernes Charras va permettre la construction du vaste complexe Charras. On assistera à un nouveau basculement architectural. Notons dès à présent que ce complexe fut très innovant à l’époque. C’est une œuvre monumentale remarquable représentative des années 1970. L’anniversaire des 50 ans de Charras sera une opportunité pour célébrer cet événement.
2/ D’autre part, la disparition des usines laissera disponible de vaste emprises foncières pour la construction de ZAC, mais aussi d’équipements et d’espaces verts. Un nouveau quartier « le Faubourg de l’Arche » voit le jour à partir de 1999, avec l’arrivée massive de 15 000 habitants et la construction de nombreux bureaux.
3/ Enfin, en 2006, un Plan de Renouveau de La Défense est étudié et mis en œuvre. Ce Quartier d‘affaires est majeur pour l’Economie de l’Ile-de-France et au-delà. L’évolution architecturale de La Défense ne cessera d’évoluer.
La Défense : une architecture en mouvement
Les réglementations successives de l’urbanisme au XIXème (notamment les règles de hauteurs et d’alignement) ont façonné le paysage des rues et des boulevards. Au XXème et XXIème siècle l’arrivée des grands ensembles et des tours va révolutionner le paysage urbain et parfois « tuer la rue »…
Des générations de tours vont se succéder : au départ le modèle à respecter à La Défense était une sorte de « domino » posé verticalement, dont le prototype était la Tour Nobel terminée en 1966 (Tour initiale).
Les règles de variations des plateaux intérieurs, des volumes extérieurs, des formes et des façades se succéderont. Avec une recherche de plus de liberté, de plus de créativité , de plus de technologie permettant l’érection d’orgueilleuses tours dans le paysage.
Heureusement, ce panorama de verre et d’acier est adouci par les méandres lascifs de la Seine. Une des plus belles vues de Courbevoie est celle partant du milieu du pont de Levallois : avec le parc de Bécon au premier plan et l’extraordinaire sky-line des tours de La Défense en arrière-plan, l’ensemble se reflétant dans la Seine.
L’histoire de l’évolution successive des façades de ces tours sera à écrire: on voit apparaître des « façades exosquelettes », jouant à la fois un rôle porteur et esthétique.
Au contraire d’ autres tours s’habillent « de mailles » aussi travaillées que des robes de grands couturiers. (Manuelle Gautrand, permis accordé en 2009 pour une livraison en 2015, mais non réalisé), ou encore, on voit actuellement de plus en plus l’apparition d’une deuxième façade à but esthétique, mais aussi technique (pare-soleil). L’histoire de l’évolution des tours de La Défense promet d’être intéressante. Enfin, les villes n’oublient pas que la révolution verte est nécessaire aussi bien pour des questions d’esthétique que pour le rafraîchissement physique et… psychologique. Même les toitures et façades se verdissent désormais.
Face à cette extraordinaire diversité architecturale La SHC désire s’investir dans la connaissance de notre patrimoine architectural en relation avec le Musée Roybet Fould et la Délégation de la Culture en Mairie.
Le travail projeté par la Société Historique de Courbevoie
Nous avons profité de la période de confinement pour commencer un large recensement des architectes remarquables de la ville et de leurs œuvres. Nous avons complété les recherches livresques par une vérification sur le terrain, puis sélectionné les architectes à étudier en premier ( une trentaine).
Enfin, nous avons commencé retenir les œuvres les plus représentatives des principaux styles afin de constituer une photothèque argumentée. Une fois ce travail réalisé des articles seront rédigés publiés régulièrement sur notre site. A partir de cette base constituées de « monographies» complétés d’apport extérieurs il sera possible d’imaginer des ouvrages plus complets suivant la motivation des sociétaires et celles de nos partenaires ( Musée / Culture )
Les hommes et femmes intéressés par l’architecture de la ville seront invités à donner leurs remarques et des avis critiques.
L’apport des habitants : « L’appel à la Connaissance »
Parfois, les sources historiques concernant certains architectes sont pauvres ou absentes. C’est la raison pour laquelle, à la suite de nos publications sur notre site, nous inviterons les habitants à participer à l’enrichissement de ces connaissances de plusieurs manières.
Tout d’abord, en autorisant la parution sur notre site de photos de bâtiments dont ils sont propriétaires. Soit des photos de façades intéressantes, cachées de la rue par les végétaux. Soit encore des photos de détails architecturaux , sculptures, mosaïques, cheminées etc…ou même un hall d’ entrée remarquable.
Parfois des portes en ferronnerie et verre se révèlent plus spectaculaires prises en contre-jour, donc de l’intérieur de l’immeuble. Des ouvrages d’art en ferronneries, fabriquées dans des entreprises Courbevoisiennes réputées mériteront d’être mises en valeur. Dans ce cas des recherches pourront être menées par des sociétaires intéressés par le sujet. Bien entendu toutes les demandes de discrétion concernant les noms et adresses seront respectées.
Les habitants pourront également nous proposer des documents inédits. Des copies de photos ou d’images du passé, des biographies même sommaires concernant les architectes cités ou oubliés ! Enfin, si des familles possèdent des compléments d’informations (remarques, référence d’ouvrages à lire, anecdotes, biographies.) la SHC appréciera particulièrement l’arrivée de connaissances nouvelles . C’est même une des raisons d’être de notre Société Historique : recueillir la mémoire collective des habitants qui, sans ce travail, risque de se perdre à jamais.
Ce travail d’échanges de connaissances sera une tâche de longue haleine : raisons de plus pour la commencer au plus vite !
« Une maison appartient à ses propriétaires,
Mais sa façade est à tout le monde »
VICTOR HUGO
Bernard Accart, président de la Société Historique de Courbevoie