Savez-vous pourquoi le plus grand quartier d’affaires européen situé à Paris La Défense, en partie sur le territoire de la Commune de Courbevoie s’appelle « La Défense » ? Cela provient de la Statue du même nom, érigée en 1883 pour rendre hommage aux valeureux défenseurs de Paris.
Remontons jusqu’au lendemain du conflit franco-prussien de 1870-1871. La commémoration récente des 150 ans de la fin de cette guerre presque oubliée a remis sous les projecteurs les événements dramatiques de l’encerclement de la proche banlieue et du siège de Paris.
C’est la statue monumentale érigée en 1883 au Rond-point de « La Défense de Paris » toujours présente sur le site, bien que discrète, qui a donné son nom au fameux quartier d’affaires de La Défense et voici son histoire mouvementée.
Commençons par le court récit de la perspective historique qui, du XVIIe siècle à ce jour, relie Paris à sa banlieue Ouest où, plus exactement les Tuileries de la Monarchie à la République puis à la Grande Arche de la Fraternité, à quatre siècles de distance.
Les origines de la perspective de La Défense
La perspective de La Défense s’est progressivement construite au cours des siècles. A partir des Tuileries au XVIIe siècle, le prolongement vers l’ouest de cette voie prend le nom de « Pavé du roy » elle correspond au trajet emprunté par les souverains successifs pour rejoindre leurs résidences de Saint Germain, Versailles, puis Marly et enfin Malmaison.
Le Bac assurant la traversée de la Seine entre Neuilly et Courbevoie est remplacé par un
pont de bois en 1611. Puis à la demande de Louis XV par un Pont de Pierre en 1772, selon les plans de M. Perronet.
L’inauguration de l’ouvrage d’art se déroule en présence du Roi, de sa cour et d’une foule immense. L’aménagement des accès sur les deux rives et des deux axes ainsi définis est également confié à M. Perronet.
Sur la rive droite, la Colline de Chaillot – future place de l’étoile – est écrêtée. Côté rive gauche, une avenue triomphale est créée conduisant au Rond-point de Courbevoie dit aussi « de la Demi-lune ou de Chantecoq ». Ce Rond-point doit faire pendant à la place de l’Etoile et en adopter les dimensions (diamètre de 143 mètres). L’érection d’un obélisque de granit d’une hauteur de 89 mètres au sommet de la colline est préconisée pour être visible des Tuileries.
Deux arcs de triomphe sont édifiés dans cette perspective. L’arc de triomphe vient couronner la butte de l’Etoile pour commémorer la Victoire d’Austerlitz. Voulu par Napoléon 1er, inauguré par Louis-Philippe, le baron Haussmann y dessine 12 avenues rayonnantes sous le Second Empire.
L’arc de Triomphe du Carrousel également voulu par Napoléon est édifié près des Tuileries.
Plus récemment, La Grande Arche – nouvel arc de triomphe contemporain – vient à s’inscrire dans la perspective historique depuis la cour carrée du Louvre.
Son inauguration le 14 juillet 1989 pour le bicentenaire de la Révolution française et à l’occasion du sommet des 7 pays industrialisés lui donnent une dimension internationale. Cette arche gigantesque revêtue de marbre blanc symbolise la grande fraternité entre les peuples du monde.
A l’emplacement de l’obélisque préconisé par M. Perronet, une statue de l’Empereur Napoléon 1er en redingote, quitte le sommet de la Colonne Vendôme pour être installée au Rond-point de Courbevoie sur un piédestal monumental d’une hauteur supérieure de 5 mètres. L’avenue conduisant de la Seine au Rond-point prend le nom d’Avenue de l’Empereur et le Rond-point devient ainsi le Rond-point de l’Empereur.
Le 17 septembre 1870, à cause de l’arrivée des prussiens dans la proche région parisienne, la statue de l’empereur – appelée familièrement « Statue du petit caporal » est déposée et
immergée dans la Seine. Elle est ensuite extraite du fleuve, remisée et trouve enfin sa place dans la Cour d’Honneur des Invalides (1911) où l’on peut toujours l’admirer. Le piédestal
vacant sert de poste d’observation durant la guerre franco-prussienne.
La Statue de La Défense de Paris
En novembre 1878- Le Conseil Général de la Seine décide de rendre hommage aux valeureux défenseurs de Paris- issus de la Capitale et des banlieues environnantes- dont Courbevoie –
en érigeant une Statue au Rond-point de Courbevoie, anciennement Rond-point de l’Empereur.
Cette Statue doit rappeler les épreuves subies par les Parisiens assiégés et leur résistance héroïque, tout en glorifiant la République.
Le concours
Il est lancé à tous les sculpteurs français (1879-1880). 115 artistes présentent leur candidature. Parmi les plus connus : A.Rodin, G. Dore, A.V.Lequien. M. Moreau, L.E. Barrias, A.J. Farguiere, A.E. Carrier-Belleuse, A.Bartholdi etc… Tous les styles sont donc représentés.
Le cahier des charges
Il permet de constater la rigueur présidant au choix des membres du jury et au déroulement des différentes étapes. Une première esquisse au 1/5 d’exécution doit être présentée, la hauteur finale de l’œuvre choisie devant être de 4 mètres. Elle doit inclure 2 figures symboliques.
Après un premier examen – pouvant comporter plusieurs tours de scrutin- et le choix de 3 esquisses, les sculpteurs retenus doivent réaliser un modèle au 2/5ème (environ 1,6 mètre).
Le modèle choisi doit aboutir à l’élaboration d’un plâtre à l’échelle réelle permettant le coulage en bronze ; après un nouvel examen. Des primes importantes sont prévues pour récompenser les artistes participants et couvrir les frais de réalisation.
Le déroulement du concours
La première étape permet de constater l’intérêt porté au sujet et à l’importance de la participation, puisque plus de 100 projets sont présentés.
De nombreux artistes ont combattu durant le conflit et ils savent insuffler à leur esquisse un accent patriotique. La véracité de certains détails renforce cette impression.
Le dépôt des esquisses a lieu le 24 novembre 1879 et dès la fin du même mois, le jury sélectionne 26 esquisses puis 11. Un constat s’impose, certaines esquisses comportent 3 à 4 figures au lieu des 2 prévues initialement.
Cependant, la grande qualité des réalisations efface cet obstacle et le jury accepte une modification du cahier des charges.
Après 5 tours de scrutin, trois projets sont retenus ceux de Barrias, Lequien et Moreau.
Les 3 finalistes doivent exécuter un modèle en plâtre à l’échelle de 2/5e. Les 3 modèles sont exposés à l’école des Beaux-Arts le 28 mai 1880. Le 31 mai le projet de Louis-Ernest Barrias est retenu devant ceux de Lequien et Moreau.
La statue à l’échelle réelle de 4 mètres est réalisée en plâtre et soumise à un nouvel avis du jury. L’étape finale consiste au moulage pour la réalisation de l’œuvre définitive.
On constate des évolutions sensibles dans l’attitude d’un personnage du projet choisi. La position passive de celui-ci se modifie et devient martiale : le jeune marin mourant au pied du personnage féminin devient un mobile affaissé mais toujours combatif.
Cette évolution semble tenir au fait que Barrias – engagé dès les premiers jours du conflit dans les mobiles de la Marne – a pris part au combat et a connu les épreuves du siège de la capitale.
La description de la statue définitive en bronze
L’attitude altière de la femme figurant la Ville de Paris est remarquable – revêtue
d’une capote de mobile, elle tient fermement un sabre de la main droite et la hampe du drapeau français de sa main gauche – avançant un pied pour affermir sa position devant un canon, elle personnifie la fermeté et l’intransigeance d’une guerrière faisant face à l’ennemi.
A ses pieds, un mobile farouche recharge son fusil chassepot avec ce que l’on imagine être sa dernière cartouche. Son pied droit, nu et enveloppé d’un linge dépasse du piédestal. Ce détail rappelle les privations subies par les assiégés et la rigueur de l’hiver.
Tout ici exprime la détermination absolue avec le réalisme des attitudes très « lisibles ».
A l’arrière du groupe guerrier, l’enfant prostrée – une très jeune fille – pourrait figurer sur un monument funéraire. Elle apporte une certaine douceur par son attitude et le drapé qui l’entoure.
Elle exprime l’extrême tristesse d’un peuple qui souffre et qui pleure ses morts.
L’inauguration du monument
L’inauguration du Monument de La Défense de Paris, installé sur le piédestal existant, se déroule le dimanche 12 août 1883.
Parisiens et habitants des communes voisines affluent vers le site dès le matin et la circulation des véhicules est arrêtée au pont de Neuilly. Les rues sont pavoisées et tous les axes conduisant au Rond-point sont envahis par une foule nombreuse, estimée à plus de cent mille personnes enthousiastes. A 16 heures, vingt-et-un coups de canons sont tirés du fort du Mont Valérien. La statue est dévoilée et la Marseillaise est jouée par la Musique de la garde Républicaine. Monsieur Barthélémy Forest, président du Conseil Général de la Seine prononce le discours :
« Est-il besoin de rappeler que ce Monument allégorique de la défense est élevé à l’endroit même où sont partis dans la nuit du 18 au 19 janvier 1871, les vaillants Bataillons qui allaient tenter à Buzenval, un dernier et suprême effort contre les lignes des assiégeants. J’ajoute, à propos du choix de cet emplacement, que Paris devait bien cette marque d’estime et de reconnaissance aux communes suburbaines, qui en combattant à ses côtés ont puissamment
Contribué à sa défense »
De l’inauguration à l’aménagement du quartier de La Défense
En 1953, il est question de placer une statue de Gambetta à la place de la statue de Barrias qui depuis 1883 est installée sur le piédestal.
Le projet est finalement abandonné et la statue de Barrias demeure donc, depuis plus de 70 ans à cet emplacement au milieu du Rond-point d’où partent 4 axes routiers principaux sur les 6 initialement prévus.
Les travaux d’aménagement du futur quartier des affaires de La Défense débutent dans les années 50. Ils sont gigantesques et bouleversent durablement la vie des riverains des communes limitrophes.
La construction du CNIT (Centre National des Industries et des Techniques) débute en 1954 et son inauguration ou plutôt sa double inauguration ont lieu en 1958. L’immeuble ESSO est le premier immeuble de bureaux construit sur le site.
Ces deux bâtiments vont côtoyer le monument de La Défense et l’immeuble Esso jusqu’en 1964, année où la statue va quitter son piédestal pour un exil de presque 20 ans.
Elle est remisée sans trop d’égards, à proximité d’un petit dépôt de matériel sur les chantiers voisins. Installée sur des socles de fortune, faits de parpaing et de ciment de faibles hauteurs, elle perd ainsi toute solennité.
Une immense excavation succède au Rond-point pour l’aménagement des infrastructures souterraines (chantier du RER A).
Dès la fin de la Dalle du parvis, la statue « exilée » retrouve sa place dans la perspective historique.
Un siècle après son inauguration, elle est réinstallée sur une haute colonne cylindriquesle 21 septembre 1983 à l’emplacement de la future Fontaine Agam.
Au fur et à mesure de l’évolution du site, des constructions d’immeubles et de tours, de l’installation d’œuvres d’art contemporain, la statue est encore déplacée.
Un moment installée en contrebas du Point Info et le long d’un axe routier souterrain, seule la partie supérieure de la statue émerge de la dalle.
La statue de La Défense aujourd’hui
Selon le Plan officiel du site, la statue est actuellement installée au lieu-dit « Table Square ».
Elle est désormais coincée le long des terrasses d’établissements de restauration !
Le piédestal carré d’une hauteur d’environ d’1m repose sur une base de 40cm, ce qui ne
permet pas une réelle mise en valeur de mise en valeur en valeur du monument.
La monumentalité initiale de l’œuvre n’existe plus et il serait à craindre que sa base
constitue bientôt une simple extension de la terrasse accolée.
La valeur artistique de la statue peut être discutée ne répondant plus aux canons de notre
époque. Cependant, cette statue n’entre pas en concurrence avec toutes les œuvres
contemporaines présentes sur le site.
Sa valeur historique la place à un autre niveau et elle mérite une installation qui lui assure la
prééminence, sans oublier plus prosaïquement un entretien régulier.
Comment comprendre que ce monument symbolique, qui a donné son nom au plus grand quartier d’affaires européen, soit relégué à une place mineure ?
La statue d’A. Rodin initialement recalée au concours de 1880 et renommée « l’appel aux
armes » connait un meilleur sort.
Depuis peu, installée à la Seine Musicale, elle côtoie également des œuvres très modernes. Cette statue est représentative de l’Art de Rodin (1840-1917), considéré comme l’un des maîtres de la sculpture et dont l’œuvre est intemporelle.
L. E. Barrias (1841-1905) – Prix de Rome en 1865- est un contemporain d’Auguste Rodin et son
style est le reflet de la société des débuts de la 3ème république. Il est qualifié de « pompier » et son auteur « d’artiste bourgeois ».
Mais pourquoi faudrait-il juger son œuvre à l’aune de notre sensibilité des années 2020 où le
passé est fortement dévalué ?
Situées à quelques kilomètres de distance, on peut considérer que l’une des deux a mieux
traversé le temps. Mais il reste la valeur symbolique et celle-ci supporte mal la proximité de
notre société de consommation et de loisirs, représentée à l’excès par les enseignes
commerciales et l’usage immodéré de la langue anglaise.
L’absence de mise en valeur de la statue fait que, parmi les habitants et travailleurs de La Défense, peu connaissent l’origine de l’appellation du quartier.
Que dire enfin de l’appellation anglophone « Table Square » donnant la primauté à trois restaurants au détriment d’un monument érigé pour saluer le sacrifice d’une génération pour la France ?
Il nous reste maintenant l’espoir que le quartier étant le théâtre de chantiers permanents, un jour la réfection de la Dalle du Parvis permette de reconsidérer la place, l’installation, la signalétique à réserver à ce monument que l’on peut qualifier d’historique.
Si ce modeste article peut y contribuer, nous en serions très heureux !
Article écrit par Françoise Lemoine
en collaboration avec Bernard Accart pour l’iconographie.
Bibliographie La Défense Guide Historique . EPAD In’fo Défense - un musée en plein air. Guide des œuvres d'art / La Défense EPAD La Défense de 1958 à 1998. L'axe historique EPAD Promenade à La Défense 50 ans d'architecture ( 1960-2000) Info Défense 92 express- numéro 131- mai 2002 Monuments HISTORIQUES Les Tuileries n° 1771991 Courbevoie tome 2, mémoire en images. Claude bourgeois. Ed. Alan Sutton. La Défense. Guide Cartoville Gallimard L’Amateur d'art à Courbevoie La Défense. Ville de Courbevoie 2010 La Défense avant La Défense Gilbert Pitard 2002 Courbevoie- Faubourg de l'Arche. Mardaga 1999 Lieux de mémoire des 2 sièges 1870-1871 Gloria Victis Jean François Ducraène. Édition des Muses librairie des musées. La perspective de La Défense dans l'art et l'histoire. Archives départementales des Hauts-de-Seine 1983 Courbevoie et ses environs Henri Vuargneux 1906 reédition 1982