Dupuy et l’autre image de Banania

Dupuy et Banania : résilience et audace dans un siècle de crises

par Franck Sainte-Martine

De la farine de banane parfumée au cacao à un phénomène publicitaire national, Banania traversa le XXe siècle avec audace et créativité. En naviguant habilement entre crises etinnovations, la marque courbevoisienne se réinventa sous la direction inspirée du publiciste Roger-Louis Dupuy (1899-1975), tout en restant fidèle à son essence, devenant ainsi l’emblème d’une résilience et d’une modernité sans égal.

La genèse d’un voyage culinaire

L’histoire de Banania débuta en 1912, lorsque Pierre-François Lardet, de retour d’un voyage au Nicaragua, imagina un mélange novateur associant farine de banane, cacao, crème d’orge et sucre. Aidé d’un pharmacien de Courbevoie, Lardet mit au point cette recette et installa son usine à Courbevoie, au 4, rue Lambrechts. Sa femme, Blanche Lardet, trouva le nom de la marque, officiellement déposé en 1914. Durant la Première Guerre mondiale, Lardet, visionnaire, envoya quatorze wagons de son produit aux troupes, popularisant ainsi l’image du tirailleur sénégalais associée à la marque dès 1915. Malgré ce succès initial, Lardet fut écarté en 1925 au profit de son associé Albert Viallat, meilleur gestionnaire, qui prit les rênes de l’entreprise, bientôt secondé par son neveu Albert Lespinasse, qui se chargea de la publicité.

 

Roger-Louis Dupuy : l’architecte d’une icône publicitaire

En 1931, l’agence R.-L. Dupuy, fondée trois ans plus tôt, reprit la communication de l’entreprise. Cette année-là, l’Exposition coloniale mettait en lumière une affiche de l’ami Y’a bon dominant la place de l’Étoile. Cependant, Dupuy et son équipe s’efforcèrent rapidement de dépasser cette iconographie coloniale en proposant une image plus douce et ludique du tirailleur, mélangeant ainsi son image à celle de l’enfant. Tour à tour, il fut représenté donnant la becquée aux enfants ou leur servant le petit-déjeuner au lit. Il fut stylisé avec un corps ou des membres bananes, transformé en soldat de plomb ou en baigneur noir Petitcollin (modèle inventé en 1931, au moment de l’Exposition). Parallèlement, la publicité mit l’accent sur les bienfaits nutritionnels du produit, et notamment sur la farine de banane, composant secondaire mais symbole de vitalité.

 

Une réinvention publicitaire pour séduire un public élargi

En 1933, Banania entama un tournant pour séduire une clientèle plus large. S’inspirant des innovations publicitaires américaines qui mêlaient photographie et dessin, Dupuy, créa un photomontage marquant : un jeune couple, tout sourire, désignant un rayon de boîtes Banania dans une épicerie. Le message était clair : Banania n’était plus seulement un produit pour enfants mais s’adressait à tous. Ce repositionnement s’accompagna de formats de boîtes variés : 250g pour les jeunes couples, 500g pour un usage régulier et 1 kg pour les familles nombreuses et d’un slogan résolument moderne, J’ai dit Banania, je veux Banania, reflétant cette volonté de faire de la marque un choix incontournable.

Photomontage avec Louise Sainte-Martine, ma grand-mère, dans la revue L’Illustration n° 4696, du 4 Mars 1933, 4e de couverture, brun et bleu, 35 X 26 cm. Collection Franck Sainte-Martine.

 

Stratégies innovantes en temps de crises : 1939-1945

à l’aube d’un nouveau conflit mondial, Banania adopta une stratégie résolument optimiste malgré la crise économique, lançant des concours promettant un million de francs. L’humour et le bon sens devinrent des piliers de sa communication, avec des slogans comme : J’ai compris ce qu’il me fallait chaque matinMaman avait raison. Maintenant je déjeune pour de vrai. Dans ces campagnes, la femme moderne, jonglant avec les responsabilités quotidiennes (migraines, bâillement de la faim, teint à raviver, silhouette à préserver…), était mise en scène avec humour et sens pratique, recevant des conseils bienveillants voire parfois moralisateurs sur la nutrition et la santé : Si jeunesse savait, Vous n’avez plus vingt ans ou Vous ne le nourrissez pas, attention à la sous-alimentation.

Banania sera votre D.C.A., Défense Contre l’Anémie, revue L’Illustration, 1939, page 11, 35 X 26 cm. Collection Franck Sainte-Martine.

 

Alors que le chaos de la guerre se profilait à l’horizon, les réclames Dupuy, illustrées par Henri Sjoberg, se risquèrent alors sur le terrain glissant et risqué de l’humour : des forces en boîte pour vos soldats, Je réquisitionne mon Banania, Un abri pour votre santé, Défense passive de votre organisme, Après l’alerte, c’est un réconfort, Pour gagner la guerre des nerfs et Défense Contre l’Anémie, une parodie de la défense anti-aérienne. Dans un contexte de privation, la maladresse apparente de certaines campagnes – comme la comparaison entre la boîte à gaz et celle de Banania – témoignait d’une audace rare ! Finalement, le coup de maître survint avec l’introduction de tickets de rationnement dédiés au petit-déjeuner, assurant à Banania une place essentielle dans l’alimentation des Français durant les années difficiles.

 

Un héritage pérenne

Après l’ère Dupuy, marquée par neuf ans d’innovations créatives, Banania poursuivit son chemin en affinant son image et son discours. Ce qui la distingue encore aujourd’hui de ses concurrents ? Un équilibre subtil entre tradition et innovation, où l’essence du produit reste intacte. En traversant les époques avec constance et inventivité, Banania sut s’imposer comme une marque intemporelle, enracinée dans la mémoire collective et incarnant à la fois la modernité et la continuité.

 

Pour en savoir plus sur Banania:

Banania à Courbevoie

Galerie-photos-l’usine Banania en1958