Dire que la vie de Paul Leprince ((1871-1914) a été mouvementée est un doux euphémisme. Il fait partie des grands aventuriers qui ont fait l’histoire aérienne.
Né à Lille, le 11 mars 1871, Paul Leprince s’installe à Courbevoie et effectue en 1889 sa première ascension en ballon à 19 ans. Il devient très vite une célébrité de la scène parisienne fascinée par les pionniers de premiers vols aériens.
En 1890, Leprince effectue un vol de démonstration si mouvementé que toute la presse nationale et internationale (jusqu’au lointain Kansas !) s’en fait l’écho :
« Le ballon « Patrie », monté par l’aéronaute Paul Leprince et un de ses amis, M. Bermud, s’était élevé de Courbevoie à quatre heures vingt. Ce ballon cubait 620 mètres. Au moment où on rompait la dernière amarre, l’enveloppe du ballon avait été déchirée par les branches d’un des arbres voisins du pont de Neuilly.
Cette déchirure avait un ou deux mètres de longueur.»
Paul Leprince ne crut pas devoir pour si peu interrompre son ascension. Il jeta quatre sacs de lest de vingt kilos, et le ballon s’éleva subitement jusqu’à mille mètres d’altitude. Il était à ce moment au-dessus du bois de Boulogne. » Il ventait assez fort du sud-ouest, et le vent prenant sur les deux côtés de la déchirure de l’enveloppe du ballon, l’agrandissait petit à petit. A un moment, la pression du vent étant plus grande sur chaque partie, et cette pression augmentant en raison même de la surface, une baie énorme s’est produite, et tout d’un coup le ballon s’est trouvé coupé en deux, et a pris la forme de deux ailes de chauves-souris énormes gonflées par le vent. »
A ce moment, les deux hommes qui se trouvaient dans la nacelle ont dû avoir une forte émotion; celle des nombreuses personnes qui ont compris ce qui se passait n’était pas moindre. Mais comme la chute de l’aérostat n’a pas été immédiate, les deux morceaux retournés et enflés par le vent faisant parachute, on entendait les plus curieux commentaires. Les uns croyaient à une invention nouvelle, d’autres assuraient que c’étaient deux ballons soudés l’un à l’autre. »
C’est dans cet état que le ballon a traversé la Seine à deux cents mètres d’altitude. C’était entre le pont de Billancourt et le viaduc d’Auteuil. Il est venu s’abattre à quatre heures trente—dix minutes après son enlèvement — dans un grand jardin-de maraîcher qui se trouve au coin de la rue du Vivier et de la rue Groguet à Issy. » La foule n’a pas tardé à s’amasser autour des débris du ballon. On croyait à un grand malheur. On a trouvé les deux aéronautes un peu émus, mais ils n’avaient pas perdu un instant leur présence d’esprit. L’un, M. Bermud, a été au télégraphe pour annoncer l’évènement, aux amis; M. Paul Leprince a surveillé l’emballage de la « Patrie » et a répondu à ceux qui demandaient des enseignements. On peut dire qu’il l’a échappé belle. »
(…) Un miracle avait sauvé les deux voyageurs. » L’un d’eux, M. Bermud, qui habite à Courbevoie, rue Saint-Germain, était livide. Du diable si on le repince encore à faire des ascensions. Quant à M. Leprince il était étonnant de courage et de sang-froid. »
C’est égal, les deux aéronautes ont vu la mort de près. »
L’Express du Nord et du Pas-de-Calais : ancien journal La Colonne – 5 septembre 1890
Dès 1903, il fait de nouveau parler de lui dans les journaux : son expertise d’aérostatier fait de lui une célébrité et attire la foule à Courbevoie.
Aérostation
Le comité des fêtes de Bécon-les-Bruyères organise pour le 23 août, son deuxième rallye ballon (rallye cycliste).
Le Curva-Via, qui prête au comité son concours, s’élèvera monté par MM. Paul Leprince et Froideval. Il devra atterrir dans un rayon de 25 kilomètres. Les concurrents devront le capturer à son atterrissage et recevront par ordre d’arrivée un numéro d’ordre.
De nombreux prix sont affectés à cette épreuve.
Le Monde sportif – 12 août 1903
Il commence à parcourir la France pour des démonstrations avec les ballons qu’il construit à Courbevoie.
« Le 14 juillet 1904, c’est encore de Remiremont que va s’élever dans le ciel vosgien un ballon rond.
Dès 8 heures 30 du matin, le ballon est gonflé au gaz de ville sur la Place de Maxonrupt devant l’école. Ce n’est qu’en fin d’après-midi, vers 18 heures 30, que Paul Leprince, aéronaute propriétaire de l' »Astrolabe », et Emile Unger, secrétaire de Mairie, montent dans la nacelle. Le ballon est lâché, il monte à 800 mètres d’altitude, et vers 19 heures 30, il touche le sol dans une clairière sur la commune du Girmont. »
La presse ne tarit pas d’éloges sur Paul Leprince :
» Par une série de belles ascensions, après sa sortie du régiment, Leprince devenait bientôt un aéronaute de premier ordre.
En 1906, nous le retrouvons dans la région du Nord, où il organise, à l’occasion de l’Exposition de Tourcoing, de nombreuses ascensions avec passagers. Son heureuse propagande contribue à la fondation de l’Aéro-Club du Nord et redouble la vitalité de l’Emulation aérostatique du Nord, qui compte aujourd’hui de nombreux champions. Le 12 août de cette année-là, parti de Calais, il faillit périr en mer, les bateaux qui devaient le convoyer n’ayant pas été préparés contrairement à ce qu’on lui avait dit ; il fut sauvé par un autre bâtiment après de longues heures de traînage.
En 1907, il va de Bruxelles à Bordeaux, dans le Concours de l’Aéro-Club de Belgique.
Depuis 1906, il dirige les ascensions de vulgarisation du Petit Journal, auxquelles prennent part de nombreux officiers en province. Il a fait en Algérie une belle campagne d’ascensions souvent avec des équipages militaires et possède depuis 1909 le brevet d’aéronaute de place forte (…) »
L’Aérophile – 1er février1914
Son association avec le Petit Parisien puis avec le Petit Journal, à bord d’un aérostat portant le nom de ces quotidiens, va lui faire parcourir toute la France, attirer les foules et asseoir sa notoriété.
Entre 1906 et 1908, le baron de Marçay collabore avec lui pour mener à bien le projet d’un aéronaute néerlandais Jan Kluytmans qui a conçu un dirigeable à moteur. L’engin sera mis au point dans les locaux de l’entreprise de Paul Leprince à Courbevoie 73-77 boulevard de la Mission Marchand, puis, exposé au public et testé dans la Galerie des Machines, l’immense hall du Champ de Mars érigé devant l’Ecole militaire pour l’exposition universelle de Paris de 1889.
Il participe activement à l’histoire de l’aviation :
« Paul Leprince, qui a pris part à la mise au point de plusieurs dirigeables, est aussi un constructeur d’aérostats apprécié. Il fut pendant deux ans chargé des cours pratiques à l’Ecole supérieure d’Aéronautique et va expérimenter un sphérique automoteur, dont nous aurons à reparler. »
Comme aviateur, Paul Leprince commande le premier Nieuport en 1910 et établit en mars 1911, avec Edouard Nieuport, les records à deux et trois passagers. Il a participé à Paris-Rome et volé de Nice à Gênes au-dessus des flots dans le plus court temps, le 8 juin 1911.
Il fut pour la jeune marque Nieuport un collaborateur aussi utile que dévoué et contribua efficacement à la faire apprécier.
Depuis, Paul Leprince est revenu à peu près exclusivement à l’aérostation et comme nous le notions au début, bien qu’il puisse rarement prendre part aux épreuves purement sportives, il vient de donner récemment une preuve éclatante de ses talents de pilote.
Telle est, brièvement résumée, la carrière aérienne de Paul Leprince. Il en est peu d’aussi remarquables et nous tenons à le dire, bien qu’il nous ait fallu pour cela faire violence à son excessive modestie. »
L’Express du Nord et du Pas-de-Calais : ancien journal La Colonne – 5 septembre 1890
Mais c’est en tant qu’aérostatier qu’il continue à faire les gros titres des journaux
Il rencontre un certain nombre de passionnés et de pionniers comme le directeur du Réveil d’Etampes, Maurice Dormann avec lequel il va remporter la Coupe de la Ville de Paris en effectuant un vol d’une seule traite de Saint-Cloud à Grodno (Biélorussie, à l’époque en Russie) :
« L’aéronaute Paul Leprince a atterri en Russie après avoir parcouru 1.600 kilomètres. Le voyage
a été très dur et c’est une violente tempête de neige qui a arrêté l’aéronaute à Grodny hier à onze heures.
L’aéronaute, qui était accompagné de M. Dormann, a ‘été retenu par les autorités, mais celles-ci ont fait preuve de beaucoup de prévenances.
La ville de Slonin, d’où est datée cette dépêche, est un chef-lieu de district du gouvernement de Grodny.
L’Aéro-Club de France a donné confirmation du succès de M. Leprince dont le point d’atterrissage exact serait Deretchin, près de Grodny, où l’aéronaute descendit samedi à onze heures.
La Coupe de la Ville de Paris – épreuve pour la plus grande distance – que vient de gagner M. Leprince, est ouverte à tous les ballons sphériques cubant au maximum 2,200 mètres, gonflés au gaz d’éclairage. Le départ doit avoir lieu du parc de Saint-Cloud et la Coupe ne peut être disputée en même temps qu’un autre prix. Ces diverses conditions du règlement font que M, Leprince gagne la Coupe sans être détenteur du record de la plus grande distance qui appartient à M. Rumpelmayer par 3.420 kilomètres. »
Le Figaro – 31 décembre 1913
Paul Leprince est au faîte de sa gloire, il est célébré dans toute la France comme un héros national, mais sa chance légendaire va le lâcher le 7 juin 1914.
Lors d’une démonstration à Sézanne à côté d’Epernay, son dirigeable prend feu avant de décoller. L’explosion fait soixante blessés et cause la mort de plusieurs personnes dont celle de Paul Leprince qui succombe à ses blessures le lendemain à l’hôpital de Melun.
Sa mort suscite un grand émoi dans la presse, mais est bien vite supplantée par le déclenchement de la première guerre mondiale.
Après un bref renouveau dans l’entre-deux guerres, les dirigeables disparaissent peu à peu au profit des avions et le souvenir de Paul Leprince s’efface.
Paul Leprince est enterré au cimetière des Fauvelles à Courbevoie.
Pour en savoir plus:
- un site très documenté sur Paul Leprince et l’expédition russe avec Maurice Dormann: http://www.corpusetampois.com/bhase018w.html
- L’accident de Sézanne