En 1853, la France de Napoléon III connait une pénurie terrible: elle manque cruellement de … chiffons.
Même si cette crise n’affecte pas vraiment l’ensemble de la population, elle a de réelles conséquences pour une industrie en particulier, celle de la fabrication de pâte à papier puisque le chiffon est alors un élément essentiel de la production.
Des prédictions sinistres annoncent l’apocalypse :
Le chiffon s’épuise avant quelques années le papier qui a déjà commencé à enchérir sera devenu une rareté un objet de luxe une denrée impossible. Ainsi vont les choses, se disent les pessimistes. C’est lorsque l’on en est venu à faire des produits de la papeterie un article de première nécessité, quand il semble à l’homme qu’il ne peut plus vivre sans avoir journellement son pain quotidien de lecture, comme il a son pain quotidien de froment de viandes et de légumes, que la disette va se manifester. Il aura passé des années à apprendre à lire à s inculquer le goût de la lecture pour éprouver un beau jour cette triste déception de ne plus trouver d’aliments pour le besoin qu’il s’est créé. A quoi bon tant de travaux, à quoi bon Gutenberg, à quoi bon les innovations des machines à vapeur qui tirent sept et huit mille feuilles à l’heure, si le papier doit bientôt disparaître de la surface du globe si nous sommes destinés à en revenir prochainement au papyrus et aux tablettes des anciens ? (…)
J. Raymond – Bulletin de la librairie, des arts, de l’industrie & du commerce – 1855
C’est là qu’intervient un banquier nommé Marius Arthaud qui a découvert dans le nord de l’Algérie, alors colonie française, quelque chose qui pourrait remplacer avantageusement le chiffon.
Il s’agit de l’halfa ou sparte, une plante textile qui pousse sur les côteaux rocailleux de la région.
Arthaud développe le procédé de transformation et fonde une société: la « Compagnie l’Halfasienne pour la Fabrication de la Pâte à Papier, Marius Arthaud et Cie », plus communément dénommée « L’Halfasienne ».
La presse s’en fait l’écho:
La rareté et le prix toujours croissant du chiffon ont de tout temps appelé l’attention de l’industrie spéciale à la fabrication du papier sur l’emploi des plantes textiles Jusqu’à ce jour diverses recherches ont été tentées mais le choix d’une plante donnant des rendements avantageux a nécessité de longs tâtonnements et d’ailleurs il était difficile de s’assurer dès les débuts d’une industrie nouvelle de procédés de fabrication industriels et économiques.
Ce problème est aujourd’hui résolu par la Société l’Halfasienne. Elle a établi à Courbevoie aux portes de Paris une usine importante en pleine l’activité où elle peut se livrer à l’exploitation de la pâte à papier sur une échelle considérable et de manière à pouvoir donner satisfaction aux besoins du commerce de la papeterie Elle a fait l’acquisition de nouveaux procédés dont l’efficacité expérimentée par la pratique est désormais à l’abri de toute incertitude Elle a adopté l’emploi de diverses plantes textiles dont l’approvisionnement est assuré et dont les rendements sont à la fois assez considérables et assez économiques pour assurer au commerce une réduction importante et aux capitaux des bénéfices en dehors des proportions ordinaires des affaires industrielles.
Enfin elle s’est assuré des débouchés nombreux en France et à l’étranger l’entreprise peut dès aujourd’hui être considérée comme étant en état de prospérité complète Faire appel aux capitaux industriels dans de pareilles conditions c est convier le public à prendre une part dans des bénéfices certains La souscription est ouverte dans les bureaux de la Compagnie rue Geoffroy Marie 5 et sera close le 20 octobre courant Dans les départements envoyer les fonds par lettres chargées ou les déposer aux succursales de la Banque de France au crédit du gérant rue Geoffroy Marie 5.
Revue des Deux-Mondes – T.12 -1855
L’usine a pour adresse 27 quai Napoléon (qui s’appellera ensuite quai de Seine avant de prendre son nom actuel de quai Paul Doumer).
Malheureusement, la Gazette des Tribunaux du 9 mai 1856 annonce la faillite officielle de la société. Le projet de cette première papeterie durable n’aura pas tenu ses promesses … sans doute à cause du retour des chiffons.
L’Halfasienne de Courbevoie va faire place à une autre entreprise à la courte durée de vie, la « Compagnie pour la Construction de wagons, Omnibus et Voitures » de 1858 à 1859 avant d’être supplantée par une autre entreprise historique: les « Etablissements Durenne ».