Le Théâtre de Verdure situé à Courbevoie dans le parc de Bécon a retrouvé en 2021 son lustre d’antan. Retracer son histoire permet de découvrir cette œuvre des frères Vera et de d’entrevoir un maillon méconnu de l’histoire des jardins et de la relation entre l’Art et les paysagistes.
Retour sur son histoire et sa création par les frères Vera
Les théâtres de verdure sont inspirés des amphithéâtres antiques. Ils sont insérés dans un environnement végétal donnant un caractère particulier propice à l’accueil de spectacles vivants (danse, théâtre, concert etc..).
L’origine du projet de théâtre de verdure
La période des jardins à la française sous Louis XIV a connu un développement des théâtres de verdure (ou d’eau). La mode des théâtres de verdure s’est également étendue dans l’entre-deux guerres, période où les frères Vera ont influencé l’art des jardins par leurs nombreux ouvrages et leurs réalisations.
Les deux bâtiments issus de l’exposition universelle de 1878 furent également cédés sous la condition de créer un Musée dans le Pavillon de la Suède et de la Norvège. Un arrangement fut conclu avec la ville pour transformer le parc en jardin public.
En 1943, suite aux bombardements alliés sur la ville, le Château de Bécon, appartenant alors à Melle Georges-Achille Fould, fut très abîmé et voué à être détruit.
C’est dans ce cadre que les frères Vera sont alors sollicités, pour réorganiser le parc en l’absence du château. Il était nécessaire de créer de nouvelles allées et de remodeler l’agencement général et les plantations.
A partir de 1951, les deux frères procèdent à l’édification du Théâtre de Verdure. Il sera achevé en 1952. C’est la dernière œuvre réalisée par André Vera.
Qui étaient les frères Vera ?
L’aîné, André Vera (1881-1971), est créateur de jardins. Ceux-ci sont qualifiés de « jardins réguliers modernes ». Son frère Paul (1882-1957) est peintre et graveur.
Comme le fait remarquer Henri Longnon dans une chronique des arts (L’action Française,1921) : « Pour s’être mis à deux, ils n’en ont pas moins fait qu’un quand il s’est agi de réaliser le livre sur les Jardins » écrit par André, orné par Paul, le livre est paru en 1921.
Cet article donne, plus loin, des précisions sur le style Vera :
« Ses constructions sont toujours géométriques, mais d’une géométrie latente, souple et vivante. De la maison à la terrasse, de la terrasse au parterre, du parterre aux tapis de verdure, aux bosquets , aux futaies, dans le plan par terre, comme dans les profils en hauteur, court un enchaînement de proportions, de formes, de reliefs, de volumes, de valeurs et de couleurs, dont la souplesse et la variété donnent aux lois de la géométrie et de la logique l’allure d’une invention lyrique. »
Paul Vera a été formé par l’Académie Julian, l’Académie des beaux-Arts puis l’Académie Ranson, il fut l’élève de Maurice Denis et Paul Sérurier.
André Vera sera reconnu comme un théoricien de l’art des jardins et écrira dans d’abondantes revues et journaux.
Il sera l’auteur de nombreux ouvrages illustrés par Paul Vera :
- Le Nouveau Jardin, 1912
- Les Jardins, 1919
- Modernité, 1925
- l’Urbanisme ou la vie heureuse, 1936
Domiciliés à Saint-Germain-en-Laye, à partir de 1920, de nombreuses œuvres virent le jour dans l’Ouest parisien (Meudon, Saint-Cloud, Courbevoie…) , mais la plupart furent détruites, ce qui rend l’œuvre située à Courbevoie d’autant plus précieuse pour ceux qui s’intéressent à l’Histoire des jardins.
Caractéristiques du projet
Nous avons esquissé l’origine de la commande de cette œuvre dans le Parc de Bécon.
Une première caractéristique du Théâtre de verdure de Courbevoie fut le choix de l’emplacement de son insertion. En effet le coteau qui longe la Seine à Courbevoie possède une forte pente qui a été utilisée pour insérer la partie amphithéâtre.
L’Orangerie surplombant cet amphithéâtre possède une terrasse où la vue sur l’œuvre des frères Vera est particulièrement intéressante.
L’utilisation judicieuse du coteau existait déjà dans la disposition du Château et de son parc avec l’aménagement de la grande terrasse avec vue sur la Seine et l’ile de la Jatte.
Aparté : On ne peut pas s’empêcher de penser à l’utilisation du coteau à l’autre bout de Courbevoie. La très forte déclivité a été utilisé par son créateur, le paysagiste Provost, pour créer un paysage avec une vaste cascade de facture contemporaine s’insérant merveilleusement bien dans le paysage des tours de La Défense.
Un dessin de Paul Vera, réalisé en 1934, interpelle. Celui-ci présente en arrière-plan une structure qui présente une similitude avec l’esquisse de la structure du futur Théâtre de verdure de Courbevoie.
URBANISME. Revue mensuelle de l’art des jardins . 1934. BNF-Gallica.
Dans les deux cas, nous avons une structure centrale en demi-cercle avec 3 éléments symétriques de chaque côté. Est-ce un hasard ou une réminiscence inconsciente du dessin de 1934 dans l’œuvre de 1951 ?
Il régnait, peu après la construction de cette œuvre en 1952, un climat socio-économique difficile. Dans ce contexte d’après-guerre, le paysage dans les parcs n’était plus la préoccupation du moment.
Au premier plan des politiques municipales, il y avait les questions du logement mais aussi l’industrialisation de la France, le développement économique, les déplacements routiers, le développement des activités du tertiaire avec la création de la Défense etc..
L’éclipse du Théâtre de verdure de Courbevoie
Le Parc de Bécon perdait peu à peu son caractère de parc classé pour devenir un espace de décompression et de détente. Saturé de monde et d’activités annexes, il se dégrada rapidement : on y installait des cirques, des salons de l’auto…
La façade du musée notamment se dégradait, le Pavillon des Indes était étayé en attente d’une rénovation.
Le théâtre de verdure n’obéissait plus aux règles de sécurité, à proximité la Route départementale n°7 était devenue une autoroute bruyante.
Bloqué entre, d’un côté, des terrains de tennis implantés sans respecter complètement les règles d’un espace classé et, de l’autre côté, d’un centre horticole se développant avec l’augmentation des surfaces d’espaces verts à gérer.
Le Théâtre de Verdure fut donc fermé.
A partir des années 1970 cette œuvre était devenue une curiosité sans affectation autre que du stockage de matériaux horticoles.
Après la conférence de Rio, à partir de 1995, les politiques publiques subirent une évolution vers plus de développement durable et d’espaces verts dans les villes.
La question de la rénovation du parc de Bécon revint alors au premier plan.
La rénovation du parc de Bécon
La rénovation du Parc de Bécon fut freinée par un large éventail de questions à résoudre :
- les sommes considérables à investir,
- la question de la fermeture prolongée du Parc pendant les travaux,
- la nécessité d’établir un diagnostic complet,
- l’organisation d’une concertation avec les habitants,
- le montage d’un concours,
- et enfin la validation du projet esquissé par la Commission des sites et l’Architecte des Bâtiments de France.
L’exigence d’étaler les dépenses sur plusieurs mandats commença par une première vague d’investissements indispensables, quels que soient les projets finaux : sauvegarder les deux bâtiments de l’exposition universelle de 1878, joyaux du parc.
Successivement fut lancé la rénovation de la façade en bois du Musée Roybet Fould, puis rénovation totale du Pavillon des Indes, dont les devis pour ce seul bâtiment dépassaient largement les 2 millions d’euros.
Cependant cette latence de temps fut une bonne chose dans la mesure ces délais permirent de boucler les négociations difficiles pour organiser le départ du Centre horticole, pour lequel il fallait trouver un lieu de remplacement, et la suppression des tennis.
Ces efforts patients furent récompensés car cela permit d’augmenter de 25% la surface du parc dévolue au public. Avec une autre conséquence majeure celle de désenclaver le théâtre de verdure et de le rouvrir au public après réhabilitation. Enfin cette surface nouvelle permettait d’organiser des travaux sans fermeture du parc par le jeu d’opérations tiroirs.
Les travaux de rénovation du Théâtre de Verdure
Amélioration pour le public
- Rénovation de la billetterie
- Les accès par le haut et le bas (PMR Personnes à mobilité réduite) sont conservés mais un escalier supplémentaire est créé.
- Réfections des gradins (voir photo)
Rénovation de la Scène
- Reprise de toutes les parties minérales à l’identique.
- Dans les bacs existants, plantation de plantes grimpantes ( pose de fils en métal )
- Pose d’éclairages
Environnement immédiat
- Plantation de plantes d’essences méditerranéennes ( palmiers, arbustes et grands arbres)
- La construction adjacente est conservée, faisant office de loges.
Notons quelques points complémentaires
Un nouvel éclairage de la scène a été réalisé, élément indispensable pour les spectacles vivants.
Sur la photo, on constate que les murs ont de vastes entrées sur scène facilitant l’art de la Danse.
Au sol, le calepinage minéral en rayon, partant la scène, accentue le caractère géométrique simple voulut par Vera. De même pour les plantations végétales de houx qui accompagne la géométrie de l’ensemble.
La question des bruits routiers reste à améliorer, même si, dans la partie basse, on entend moins la circulation, les murs minéraux faisant obstacle au sons externes et réfléchissent les voix des acteurs ou la musique vers le public.
Dans le futur, on peut espérer que la deuxième partie de rénovation des berges de Seine, toujours en programmation, se réalise et améliore ce point.
En effet, la promenade du bord de Seine aboutira au niveau du parc à un belvédère et une traversée piétonne pour rejoindre le parc.
Cette traversée signalée sécurisée, en baïonnette, va ralentir le flux de voitures, ne serait-ce que par le léger rétrécissement des voies associé à ces aménagements.
Moins de vitesse, c’est moins de pollution et surtout, dans notre cas, moins de bruit, sans perturber la vitesse du flux de circulation. (l’automobiliste accepte qu’on le ralentisse pourvu qu’on ne le retarde pas…)
Le Théâtre de Verdure aujourd’hui et son insertion dans le futur parc de Bécon rénové
Voici le panneau explicatif schématique du plan général de rénovation du Parc de Bécon posé par la ville de Courbevoie :
La rénovation du Parc de Bécon avait commencé par les deux bâtiments de l’exposition universelle de 1878.
Le panneau ci-dessus montre l’ensemble du programme pluriannuel de rénovation.
Le théâtre de verdure est une première étape. Cette rénovation est importante pour les activités qui vont pouvoir s’y tenir, elle contribue à l’enrichissement et à la diversité de la vaste offre culturelle de ce Parc.
Cette richesse est assez exceptionnelle.
On peut rappeler que le parc est riverain du Cinéma « d’art et d’essai » Abel Gance et de la Bibliothèque.
Le fronton de la Caserne Charras, reconstruit dans le bas du parc, évoque plusieurs siècles d’histoire et en particulier celle de la chute de la Royauté et le massacre des 400 gardes-suisses, le 10 août 1792, provenant en grande partie de la caserne de Courbevoie.
2022 marquera la date anniversaire des 230 ans de cet événement et la Société Historique de Courbevoie prévoit d’organiser prochainement une conférence sur ce thème.
L’histoire est aussi présente au Musée Roybet Fould, mais également la Peinture, la Sculpture et l’Architecture (le musée lui-même est un vestige et les expositions qu’il organise abordent ce sujet).
Le Pavillon des Indes, autre mémoire de l’Exposition universelle de 1878, constitue un rappel du savoir-faire industriel de la France exposant ses inventions et découvertes au monde entier
Enfin, la renaissance du Théâtre de Verdure, au-delà de ses fonctions d’accueil des spectacles vivants, est un représentant de l’histoire de l’Art des jardins, car les frères Vera étaient des passionnés dans ce domaine.
C’est d’autant plus intéressant que l’exploitation du coteau se retrouve déclinée à l’autre extrémité de la ville par le paysagiste contemporain Alain Provost dans le jardin Diderot.
Située en bordure de La Défense, l’œuvre de Provost exploite la forte pente de façon exceptionnelle. Il pousse le jeu des courbes et des droites, le ciel et l’eau en exploitant pleinement le site.
Pour les passionnés de jardins, de paysages originaux et d’architecture, la visite de ces deux lieux le même jour est à conseiller. En commençant par un troisième lieu : la grande terrasse médiane du parc de Bécon ou des paliers successifs vont rejoindre le bord de Seine. C’était la façon classique d’épouser une pente dans les parcs des châteaux construit dans le grand siècle.
Actualité du Théâtre de verdure
« Des jardins et des hommes : le voyage des plantes ».
Spectacle lecture et musique le 21 juin 2019. Mise en scène Patrick Scheyder.
Journées européennes du Patrimoine 2021
Soirée d’inauguration officielle du Théâtre de Verdure
samedi 18 septembre 2021 à 20h00
Spectacle musical « Escale à Broadway », proposé par l’Ensemble orchestral des Hauts-de-Seine, avec le conservatoire de Courbevoie.
Entrée libre dans la limite de la capacité d’accueil
Infos : site de la ville
Cet article vous est proposé par Bernard Accart, président de la Société Historique de Courbevoie
Image de couverture : Vue générale du Théâtre de Verdure ©BA-SHC