Hommage à Pierre Soulages

Le mercredi 26 octobre 2022 le peintre Pierre Soulages, né à Rodez en 1919, disparait à l’âge de 102 ans. Soulages est un peintre unique, un de ces peintres sans concession, qui cherche au fond de lui-même la découverte d’émotions picturales vraies et nouvelles.

Soulages : la recherche d’un peintre

La peinture de Soulages est singulière et universelle.

Sa démarche fait d’abord penser à la peinture Chinoise, où la création surgit du néant de la toile, au moyen de l’encre de chine et de l’art du pinceau. Le pinceau est si important pour ces peintres chinois qu’ils se faisaient enterrer avec eux.

Pour eux, le mécanisme de création est très différent. Le jeu de l’encre amoureuse du papier, sous la maîtrise du geste donné au pinceau ne peut pas être copié, contrairement à la peinture occidentale.

C’est pourquoi un peintre chinois, invité au XVIIIème siècle à admirer les chefs d’œuvres de peintres français, déclara « Ce n’est pas de la peinture, car il n’y a pas d’art du pinceau.».

Avec Soulages, au lieu de pinceau, on doit parler d’outil, ou de brosse de peintre en bâtiment. Ce colosse travaille de très grands formats. Au début, sans moyens financiers, il utilisait le fusain ou le brou de noix et du papier.

Affiche du Musée Soulages à Rodez
Affiche du Musée Soulages à Rodez

Aucune théorie pour lui ne précède l’acte de peindre. Il ne sait pas à l’avance ce qu’il va trouver. Il le découvre quand son œil suit sa main en action, ou plutôt, doit-on dire son épaule; car ce géant part à l’assaut de toiles gigantesques et le geste qui laisse la trace du pinceau lui donne l’idée de l’enchaînement à suivre, il peint alors dans une sorte de danse maitrisée.

Mais ce que l’on peut particulièrement apprécier c’est l’importance des pigments ou du substrats utilisés. Ils vont faire naître un contraste entre la matière épaisse, densifiant la trace du pinceau, engendrant de multiples reliefs parallèles, permettant ainsi de jouer avec le jeu sensible de la lumière. L’éclat réfléchi par le relief du sillon contraste alors avec le fond noir.

C’est un jeu subtil liant la matière et l’esprit, le corps et la pensée.

L’atelier de Soulages à Courbevoie

Les Ateliers de Soulages par Michel Ragon
Les Ateliers de Soulages par Michel Ragon

Les découvertes et l’élaboration du geste pictural, Soulages les expérimente dans la période allant du 14 mars 1946 au 14 décembre 1947.

Michel Ragon dans son livre Les Ateliers de Soulages décrit ainsi les lieux qu’il occupe avec sa compagne Colette, à Courbevoie : « Ils y habitaient, au n°3 de la rue Saint-Saëns ».

L’envol du peintre Soulages

Il expérimentera différents pigments et matériaux, comme un alchimiste à la recherche de la transmutation. Mais sa démarche fondamentale restera toujours la même.

Quand par exemple le ministère de la Culture lui commande en 1986, en collaboration avec le maître verrier Dominique Fleury, les 104 vitraux nécessaires aux 95 fenêtres de l’église abbatiale de Saint-Foy de Conques, cela l’amène à concevoir une lumière translucide particulière, donnée par un mélange d’aggloméré de grains et verre, associé à des fragments de cristal.

Pierre Soulages, Conques La lumière révélée
Pierre Soulages, Conques La lumière révélée (source pierre-soulages.com)

Dans sa dernière période il quittera la peinture à l’huile pour adopter la peinture acrylique, car la chimie organique permet une infinité de rendu, de séchage rapide en couche épaisse, de surface mate ou brillante.

Mais seul compte le résultat final :  la découverte d’émotion picturale nouvelles associant la simplicité avec une richesse esthétique intérieure.

Le passage à la postérité de Pierre Soulages

Il exposa pour la première fois au Etats-Unis, grâce au galériste new-yorkais de Picasso, en 1954.

Au début des années 80, sa cote pour un tableau dépassait déjà les 100 000 Francs et, en 1989, il fut adjugé une toile à plus de 500.000 Francs.

La vente de 1989 à Londres d’un grand format de 1961, au prix de 2,65 millions de Francs de l’époque, montra au monde entier la valeur de son œuvre.

Le 18 novembre à New York, la maison d’enchères Sotheby’s a mis en vente « Peinture, 195 x 130 cm 4 août 1961« , grand tableau rouge et noir de Pierre Soulages,  » sans nul doute l’un des tableaux les plus exceptionnels de l’artiste » selon Guillaume Mallécot, directeur du département Art Contemporain Sotheby’s France. Pour la première fois en vente publique depuis 30 ans, l’œuvre était estimée entre 8 et 12 millions de dollars avant la vente… et s’est vendue finalement à 20,2 millions de dollars (17,88 millions d’euros), un record !

Je vous laisse admirer :

Peinture, 195 x 130 cm 4 août 1961, Pierre Soulages
Peinture, 195 x 130 cm 4 août 1961, Pierre Soulages

Au début de l’année 2022, on a estimé que dans la cote mondiale des peintres les plus chers, il occupe la neuvième place, après David Hockney, Peter Doig, Jasper Johns, Ed Ruscha, Brice Marden, Christopher Wool, Yoshitomo Nara et Banksy.

Sa valeur artistique fut scellée quand Soulages devint le troisième peintre à offrir une grande rétrospective de son vivant au Louvre, après Chagall et Picasso.

Cette exposition a fait l’objet d’un vidéo de présentation de 40 minutes que je vous partage ci-après :

Mercredi 1er novembre 2022, un hommage lui sera rendu au Musée du Louvre.  Emmanuel Macron présidera la cérémonie qui débutera à 15 heures dans la Cour Carrée du Louvre et sera ouverte au public, en présence de membres du gouvernement et de la famille de l’artiste.

Cet hommage sera l’occasion de célébrer l’extraordinaire fidélité* de Pierre Soulages à lui-même. Soulages a ouvert un champ pictural nouveau dans l’histoire de la peinture.

Cela prouve que chaque être humain, chaque artiste, possède tout au fond de lui-même un trésor enseveli qu’il doit chercher. S’il reste persévérant et qu’il le trouve, alors il rentre en contact avec tous les autres êtres humains.

Bernard Accart, président de la Société Historique de Courbevoie

* Fidélité aussi à son épouse colette, 101 ans, avec qui il venait de célébrer ses noces de chêne (80 ans). (Wikipédia)

Crédit photo image de couverture : Pierre Soulages – Centre Presse Aveyron – José A. Torres

Bibliographie

Michel Ragon. Les Ateliers de Soulages. Bibliothèque Albin Michel idées. 2004. Première édition illustrée 1990.