Gaston Gillotte et fils : l’histoire oubliée des premières voitures de luxe

Gillotte Carrossiers Courbevoie

L’histoire oubliée de Gaston Gillotte, carrossier innovant et luxueux, qui a marqué l’ère de la voiture motorisée avec ses créations uniques durant l’essor industriel français du début du XXe siècle, et mérite une reconnaissance accrue pour son œuvre. 

Cet article vous est proposé par Michel Pierre

Quand on évoque le nom de Gaston Gillotte, bien peu de gens savent encore qu’il s’agissait d’un carrossier réputé pour l’ingéniosité et le luxe de ses modèles pendant plus de trente ans.

Il avait pourtant participé de belle façon à la grande aventure de la voiture motorisée en créant des modèles souvent uniques, dont seuls peu d’exemplaires ont survécu.

Dans l’effervescence industrielle française du début du XXe siècle, il tient une place honorable qui mériterait d’être reconnue.

vue des Etablissements Gillotte vers 1900

Le berceau de l’automobile

La dernière décennie du XIXe siècle avait vu le développement fulgurant de l’automobile dans lequel la France avait une place prépondérante. Elle comptait en 1900 de très nombreux constructeurs pour voitures à 2 ou à 4 places, représentant ainsi plus de la moitié des véhicules produits dans le monde.

En 1900, l’Exposition universelle avait eu lieu à Paris promouvant les sciences et les techniques,
mais, d’une manière un peu surprenante, les automobiles étaient resté exposées avec les carrossiers de fiacres hippomobiles, démontrant bien ainsi qu’elles étaient des objets de luxe et n’avaient pas encore trouvé leur place fonctionnelle.

Paris était alors la capitale incontestée de la carrosserie hippomobile et le « goût français » pour les voitures de luxe ou les « grosses voitures » s’était imposé dans le monde des arts industriels et n’avait pas d’égal en Europe ou aux Etats-Unis.

De l’hippomobile à l’automobile

Parmi les carrossiers de cette époque, on retient les noms de Labourdette, Kellner, Rothschild Binder, Belvalette, Muhlbacher, Vanvooren, Million-Guiet…, qui se lancèrent dans la carrosserie automobile sans toujours délaisser les constructions hippomobiles.

Le basculement vers l’autonomisation de l’automobile s’est fait ensuite très rapidement, avec  l’Exposition internationale automobile du Cycle et des Sports au Grand Palais, le 29 janvier 1901, à l’origine de ce qui deviendra ensuite le Salon de l’Auto, ouvert jusqu’en 1972.

L’émergence d’un grand carrossier

C’est dans cette configuration particulière de la naissance de l’automobile qu’est apparu pour la première fois le nom d’un carrossier qui sera « bien connu » selon la presse de l’époque, pendant plus de trente ans.

La première occurrence du nom Gaston Gillotte, devenu par la suite Gaston Gillotte et ses fils date du 1er novembre 1900, dans un article du magazine l’Auto-Vélo relatif à une inscription pour l’exposition internationale au Grand Palais avec G. Gillotte Accessoires, 9 bis rue Gravel à Levallois.

Dans un article du 9 juin 1901 du même journal, on lit : « Rappelons que Monsieur Gillotte a fait breveter un abri capote très ingénieux, que nous engageons nos lecteurs à expérimenter. Une autre spécialité émana de cette intéressante maison : capote extensible, dais et pavillons. On consultera avec avantage le catalogue envoyé franco.»

La Capote au Pare-Brise - Gillotte 1913
La Capote au Pare-Brise – Gillotte 1913

Le 11 décembre 1904, cette fois dans Le Figaro, on lit : « Tout l’art que M. Gillotte apporta dans le dessin et la fabrication des capotes de voitures se retrouve dans les jolies carrosseries qu’il expose au Grand Palais. L’écouter discourir sur ses types nouveaux de carrosserie automobile et surtout sur la limousine de son stand, dont il a fait un modèle achevé, fait songer aux ouvriers du Moyen-âge, épris de leur œuvre, et constitue une leçon merveilleuse d’art et de bon sens.
Des ateliers de M. Gillotte à Levallois-Perret sortiront, dans la saison 1905, de nombreuses voitures, de tous types et sur tous châssis, car l’art appelle sa diffusion pour deux raisons : d’abord par ces assises, ensuite parce qu’ils exposent des modèles d’une ligne incomparable qui passent à juste titre pour des merveilles de bon goût. La maison Gillotte est admirablement outillée pour fournir luxe et confort ».

C’était une époque où l’acheteur d’une voiture automobile choisissait d’abord le châssis et le faisait carrosser ensuite selon ses goûts… et son budget.

Gaston Gillotte proposait ainsi plusieurs variétés de carrosseries de grand luxe, avec une prédilection pour les « conduites intérieures », terme définissant une voiture fermée, avec un toit allant du pare-brise avant, jusqu’à l’arrière des sièges englobant donc le chauffeur.
On disait ces conduites intérieures « séduisantes par leur ligne, leur élégance et leur confort ».

Jean-Henry Labourdette en aurait été le premier concepteur sur une Renault en 1894.

Mais Gaston Gillotte, manifestement très créatif, a inventé aussi « une limousine à paroi démontable qui aura fait école au salon, tous les carrossiers y auront pensé et elle sera le complément idéal de toute voiture de grand tourisme » (Le Figaro 25/12/1905).

La famille Gillotte

Gaston Gillotte, né le 27 mars 1864, à Mantes, était le fils d’un dessinateur de l’école des Ponts et Chaussées. Ce détail a certainement eu son importance sur la destinée de celui qui est devenu un concepteur de carrosserie élégantes, quand on sait l’exigence du graphisme et la méticulosité demandée pour réaliser des plans à cette époque.

Il est possible qu’il ait fait sa formation professionnelle chez Million Guiet et Cie, qui était installé un long moment au 71 Rue des Arts à Levallois, l’adresse de naissance de ses enfants étant au 62 rue des Arts.

Ses trois enfants, Georges, carrossier et chef forgeron, Gabriel, sellier carrossier et Auguste,
carrossier conducteur, respectivement nés en 1885, 1887 et 1891 ont travaillé avec leur père jusqu’à sa mort en 1925.

Georges est cité dans un article de 1904 comme ayant inventé un « buffet de chauffeur», sorte de panier construit par « le jeune et compétent fabricant qu’est Monsieur Georges, fils Gillotte », tandis que Gabriel avait reçu un 2e prix du cours professionnel de carrosserie en 1902.

Les ateliers, d’abord situés rue Gravel à Levallois, ont ensuite déménagé le 1er avril 1905 pour aller au 88, rue de Villiers, toujours à Levallois.

Après leur démobilisation courant 1919, Georges et Gabriel, assistés d’Auguste, qui avait été réformé, reprennent leur activité et emménagent dans des locaux plus grands à Courbevoie.

L’emplacement choisi est d’ailleurs en soi une curiosité du fait de la configuration particulière que devait présenter le garage, sur deux niveaux, le 25 Boulevard de Verdun, croisant, mais bien en contrebas le 83 Boulevard Saint Denis. Il n’en subsiste malheureusement rien, hormis deux rampes d’accès.

1922 – BNF Gallica

L’âge d’or

De 1900 à 1930, le père et les fils ont déposé pas moins de 8 brevets ( lève-glace, strapontin tournant, banquette à éléments coulissants…), dont deux avant 1914 et les autres après la guerre.

Au cours de cette période des « Années folles », on vit émerger un immense besoin de liberté et d’euphorie qui se traduisit par une période d’effervescence et de création.

L’automobile devenant plus sûre acquit alors un statut d’objet de rêve et de désir. Des créateurs de style osèrent des carrosseries de plus en plus remarquables.

A cette époque, le prince des élégances, chroniqueur et auteur de pièces de théâtre André Beck de Fouquières, « L’homme du monde », « le Parisien de Paris » eut alors l’idée d’exhausser les savoir-faire d’excellence français façonnés par les maîtres carrossiers, habillant de brillantes mécaniques en les faisant figurer au côté d’équipages portant les tenues grâcieuses et distinguées des plus grands couturiers.

Cette période de prospérité fut le premier âge d’or de la Haute couture et de l’automobile.

Le premier concours d’élégance en automobile, qui resta toujours l’un des plus prestigieux, se tint à Dinard le 4 septembre 1921, en même temps qu’étaient organisés des rallyes dans plusieurs villes de France comptant alors plus d’une centaine de participants.

Une trentaine de véhicules furent exposés sur la digue et le concours fut remporté sur une Voisin carrossée Gillotte par Pierre Durand-Ruel, fils du marchand d’art Paul Durand-Ruel, soutien des impressionnistes.

Ce concours fut suivi de bien d’autres, à Hyères, à Cannes en avril, au bois de Boulogne en juin, puis à Bagatelle vers le 20 du même mois, à Vichy fin juin, à Deauville fin juillet, au Touquet début août et enfin à Bordeaux, Biarritz et Monte-Carlo.

Ces événements mondains voyaient se côtoyer des personnalités du monde des arts, de l’industrie, de l’aristocratie et de la mode, mais ils avaient aussi un caractère très populaire. Ils constituaient en effet une magnifique vitrine pour présenter les plus belles marques automobiles. Leur retentissement commercial était immense.

Photo Michel Pierre

Ainsi, en 1924, le concours de Dinard attira-t-il plus de 20.000 personnes, venues admirer une centaine d’automobiles, dont des Bugatti, Hispano-Suiza, Delage présentées sur la digue pendant qu’un rallye était organisé conjointement par les participants.

Cette année-là, on lit dans la presse : « toutes les voitures (sauf une) récompensées dans cette catégorie étaient signées « les fils de Gaston Gillotte » pour des Panhard-Levassor, Voisin,
Hotchkiss, Delage et à nouveau Voisin. Voilà une superbe moisson de lauriers qui vient compléter le grand succès remporté, il y a un mois, dans le concours d’Elégance de l’Auto au Parc des Princes, par la réputée carrosserie, Gillotte de Courbevoie ».

Dans Le Temps du 2 août 1924, on lit aussi :
« Déjà remarquée au concours d’élégance, où trois grands-prix lui ont été accordés, la carrosserie Gillotte ne s’arrête pas en route, elle progresse. Au circuit, un petit torpédo décapotable sur 10 Ch Panhard ainsi qu’un bijou de cabriolet sur châssis Panhard ont fait que les fils de Gaston Gillotte, les carrossiers de Courbevoie, par la variété de leurs modèles, et notamment leur conduite intérieure, s’affirment comme des hommes de goût, soucieux d’élégance et de confort ».

Les trois prix en question étaient probablement ceux des Tuileries, de Royat et de La Baule.
Quatre ans plus tard, le Figaro du 13 octobre 1928 rapporte : « de nombreux visiteurs se sont rendus au stand Gillotte où quatre voitures de toute beauté sont exposées. Deux conduites intérieures, faux décapotables et d’un remarquable dessin ont eu un grand succès, succès partagé d’ailleurs par une conduite intérieure six places face à la route, spéciale pour châssis court et par la conduite intérieure, type Sedan, de belle facture ».

BNF Gallica

Le crépuscule

Mais, c’était le chant du cygne : Gaston mourut le 27 mars 1925, la ligne des automobiles commençait à se modifier, les conduites intérieures et leurs « caisses carrées » n’étaient plus d’actualité et l’économie nationale donnait des signes de faiblesse. La bascule se fit à la suite de la crise de 1929.

La société en nom collectif des « fils de Gaston Gillotte », fut dissoute le 27 février 1931 à la
requête de l’Administration des Contributions Indirectes.

Les ateliers furent repris le 1er octobre 1932 par le constructeur Derby, qui quitta la rue des Varebois (aujourd’hui, rue d’Estienne d’Orves), dont les locaux étaient devenus trop petits.

Ce fut un déménagement qui intervint juste avant le salon pendant lequel Derby exposa un superbe et unique cabriolet réalisé par Henri Chapron.

Une autre époque était née.

Michel PIERRE

Sources: illustrations BNF/ Gallica