La salle des mariages de l’ancienne mairie de Courbevoie, construite entre 1855 et 1858, a été peinte par Alexandre Séon, qui en a achevé la décoration en 1889. A l’occasion de sa restauration, prévue en 2022, nous vous invitons à redécouvrir ce chef-d’œuvre.
Cette peinture Symboliste et Idéiste est exceptionnelle, aussi bien par sa taille que par ses innovations. C’est pourquoi elle prend une place particulière dans l’histoire de la peinture.
Alexandre Séon, peintre et décorateur
Séon a effectué ses études aux Beaux-Arts avec son ami le peintre néo-impressionniste Georges Seurat. Ils ont beaucoup échangé sur leur art jusqu’au décès prématuré de Seurat en mars 1891.
Seurat cherchait à reproduire la lumière de façon scientifique, fidèle aux théories de Chevreul.
Séon sut inventer « l’œil intérieur » et mettre en œuvre des procédés techniques qui le propulsèrent à partir de 1890, pendant quelque temp, à l’avant-garde de la peinture, succédant aux périodes impressionnistes et néo-impressionnistes, avant que la révolution picturale du XXème siècle s’ouvre à des champs nouveaux.
La salle des mariages de Courbevoie
Origine du projet
Courbevoie faisait partie à l’époque du département de la Seine avec, entre autres, Paris. Les édifices publics de la IIIème République sont alors à l’honneur. C’est le « Triomphe des Mairies » et le département des Beaux-Arts de la Seine lance une vaste campagne de concours.
Courbevoie se voit proposer successivement deux concours : une sculpture illustrant la Défense de Paris et une décoration de son imposante salle des fêtes.
Le sculpteur Barrias fut nominé, avec son emblématique œuvre de La Défense. Sa sculpture avait supplanté le projet de Rodin. Elle remplaça la statue de Napoléon au rond-point de la Demi-lune, au bout de la future avenue Gambetta.
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Pour Séon, l’affaire fut plus compliquée. Cet élève de Puvis de Chavannes avait subi un échec au concours de la décoration de la mairie de Montreuil. Son Maître et ami, qui croyait à sa réussite l’encouragea à se présenter de nouveau à Courbevoie.
Vainqueur du Concours, Séon exposa une partie de ses toiles à l’exposition universelle de 1889 où ils furent particulièrement appréciés.
Elles purent ensuite rejoindre leurs emplacements à Courbevoie dans la salle des mariages, qui les attendait avec impatience, en 1890.
Remarquons que Séon avait effectué également des études de décorateur. Il exprima alors auprès de la mairie de Courbevoie, son désir de s’occuper de l’ensemble de la composition décorative. Cet élément doit être retenu, car il explique pourquoi cette salle représente une œuvre remarquable, complète et unique.
Commençons par vous présenter en photo la salle des mariages de Courbevoie, classée à l’inventaire des monuments historiques, à l’époque la plus grande salle d’Ile-de-France avec ses dimensions hors normes : 18,5m x14,2m.
Ci-après les ortho-photos de cette salle : en haute définition, elles permettent d’avoir de vastes champs photographiés sans distorsion dues à la perspective.
Une œuvre d’une ampleur exceptionnelle
Le montage ci-dessus, rassemblant les 4 murs et l’immense plafond décoré, permet de voir qu’il s’agit d’une œuvre monumentale parfaitement ordonnée et exceptionnelle par sa taille et ses qualités picturales.
Les dessins de Séon sur les panneaux muraux sont exceptionnels.
Les peintures du plafond, très différentes, illustrent la subtilité de sa peinture. On définit parfois la beauté comme « une chose qui forme un tout » : c’est le cas de l’ensemble de cette œuvre de Séon.
Séon était le meilleur disciple de Puvis de Chavannes, lui-même décorateur de talent et maître dans l’art de la fresque monumentale. Il a dépassé son maître, mort en 1898.
Par ailleurs Séon a assimilé le divisionnisme de son ami Seurat, mort prématurément. Il a su trouver de nouvelles voies de réflexion sur le plan technique comme sur le plan de « l’Idéisme » qui présidait à cet instant à sa « Peinture Symbolique ».
Ce genre pictural multiforme a su par la suite suivre des évolutions variées dans l’histoire de la peinture mais aussi dans les autres arts.
Les 8 panneaux peints de la Salle des mariages de Courbevoie
Ces panneaux sont une représentation intemporelle des grandes phases de la vie humaine.
Le Musée Roybet Fould de Courbevoie possède un certain nombre de dessins préparatoires. Tous sont des témoignages du souci d’exactitude de cet artiste.
Un article de Benjamin Guinaudeau dans le journal La Justice (1892) nous dévoile que Séon pratique dans ce domaine un art exigeant. En voici un extrait :
« Dès l’entrée, le journaliste aperçoit, collé sur un mur, un « Canon » des mesures du corps humain. Séon devance son regard : « Vous aussi vous avez l’air étonné ! Vous êtes surpris de trouver cela chez moi, la mesure et la règle. L’art nouveau fait-il de ces choses n’est-ce pas ? Aucuns le disent ! Ce n’est pas mon avis. Ah non. Les maîtres, pour moi ce sont les Grecs. Je comprends Poussin passant des heures, à Rome, à mesurer des statues antiques ».
Le journaliste lui demande alors si la plastique, l’intensité, la grâce, la subtilité de l’expression n’est pas l’ennemie de « l’Idée », Séon répond : « La plastique, mais je l’étudie sans cesse. Je m’applique à saisir, au naturel, dans ses milles poses, sous ses aspects variés à l’infini, la vie humaine. Tenez voyez plutôt. »
Le peintre étale sous mes yeux une vraie brassée de feuillets couverts de dessins représentant des attitudes de corps, au repos ou en mouvement, des hommes attablés, des enfants au jeu, des femmes aux travaux de ménage d’autres rêvant, assises, debout, appuyées à des troncs d’arbres, des jeunes filles en escarpolettes. »
Ainsi, pour Séon, la plastique n’est pas ennemie de « l’idée ». Au contraire, il allie ce travail en le combinant avec une grammaire des lignes de forces symbolisant ses idées :
- La ligne horizontale symbolisant l’idée de repos,
- la ligne verticale l’élévation, la spiritualité.
- La ligne à droite, associée à une couleur chaude, la joie.
- La ligne à gauche descendante alliée à une couleur froide, la tristesse.
Certaines de ces notions sont anciennes et seront par la suite développées par le mouvement du Bauhauss avec des peintres comme Kandinsky et Paul Klee ( « Du spirituel dans l’art »).
Ses couleurs sont choisies d’une part pour leurs fonctions décoratives : harmonies apaisées, beaucoup de gris subtiles. Le gris est en effet la couleur dont le nombre de nuances pouvant être discerné l’œil humain est le plus grand.
Les 8 panneaux ont vocation à célébrer la vie quotidienne des hommes dans une vie républicaine apaisée, comme le suggère les douces harmonies de gris, de rose et de bleu.
Les 4 murs de la salle des mariages de Courbevoie
Le mur Nord
![Le mur Nord](https://i0.wp.com/www.shcourbevoie.fr/wp-content/uploads/2022/04/5-SM-cote-Nord.jpg?resize=640%2C239&ssl=1)
Le mur Nord se situe devant la tribune où officie le Maire face aux mariés et ses invités.
Le bonheur de vivre se retrouve dans les thèmes des trois panneaux en arrière-plan.
Le critique et théoricien Alphonse Germain, ami de Séon, souligne que dans la fête et le travail, Séon rejette la théorie des couleurs complémentaires « qui ne donne pas de belles palettes » mais que les sujets traités sont « symbolisés par les tons ».
Le mur Sud
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Les thèmes des trois panneaux situés à l’opposé sur le mur Sud évoquent les devoirs de la vie.
Le Dévouement présente l’oblique à gauche et des teintes éteintes.
L’Aïeule et l’Education présentent des lignes verticales, signe de l’élévation. D’autre part, ce dernier panneau possède des nuances plus colorées et une oblique à droite montante, entre le regard de l’enfant et de l’adulte, également en arrière-plan.
Le mur Ouest
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Le mur Ouest donne le maximum de lumière naturelle avec 5 fenêtres sur les 9 présentes dans la salle.
Au plafond, les deux scènes de l’Automne et de l’Eté sont les plus éclairées, par la proximité des fenêtres et le lustre central.
Quatre panneaux décoratifs peints verticaux sont disposés de part et d’autre des fenêtres, aux deux extrémités de ce mur, contribuant à l’unité esthétique de l’ensemble.
Le mur Est
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La décoration du mur Est
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Sur ce mur, sont disposés 2 panneaux avec deux scènes : La Femme fille et La Mère, et aussi 2 panneaux décoratifs peints (ci-contre) au lieu de 4 sur les autres murs (soit 14 en tout).
On remarque qu’ici, ces deux types de panneaux (scènes avec personnages ou panneaux purement décoratifs de style renaissance) comportent le même complément de décor au-dessus et en-dessous. Ceci, suggère que ces deux types de panneaux, pourtant très différents, ont en fait un rôle décoratif interchangeable.
Séon avait demandé la maîtrise artistique de la décoration.
On voit ici que ces deux types de panneaux jouent un rôle important dans l’équilibre décoratif général. Et les entrelacements détaillés du panneau peint accentuent la richesse décorative de cette salle.
La décoration et l’ornementation de la salle des mariages de Courbevoie
L’abondance des décorations comprenant staffs et boiseries dorées, agrémentées de feuilles de chênes, de Lauriers ou d’acanthes est conforme à l’esthétique des édifices publics de la IIIème République.
Quatre doubles portes s’ouvrent sur le mur Est. Au-dessus, deux panneaux décoratifs successifs surmontés de la lettre « C » honorant Courbevoie .
Au milieu de ce mur s’élève une immense cheminée en marbre blanc de style Renaissance.
Au-dessus, un médaillon en feuille de chênes met en valeur le buste réalisé par JB. Carpeaux « La Patrie ».
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A l’origine, ce buste avait été réalisé en plâtre blanc par le maître. Il était encore présent du temps du maire Grisoni. Il a été déplacé dans la salle du Conseil municipal et remplacé par le bronze.
Le lustre « soleil » des 4 saisons
Le lustre est un élément décoratif important de la peinture du plafond.
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Un courrier d’archive révèle que ce lustre a été mis à disposition par un citoyen de Courbevoie. L’éclairage à l’époque était encore au gaz, c’est pourquoi d’épais tuyaux (pour laisser passer le gaz) soutiennent les fausses bougies.
La grille qui se trouve au-dessus permet avant tout d’évacuer les émanations résultantes de la combustion, mais l’ornementation très travaillé de cette grille magnifie l’éclairage de ce lustre.
Ce lustre et sa grille se comportent un peu comme un soleil illuminant le ciel des 4 saisons. Les deux saisons les plus éclairées sont dans la largeur donc à plus courte distance du lustre : l’Automne et l’Eté.
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Pour la réalisation des moulures, des menuisiers et décorateurs ont travaillé sous la direction de l’architecte Simmonet et le sculpteur Adolphe Benier. Le mobilier de la salle des mariages a été traité avec Rondelle Tapissier, ébéniste demeurant à Courbevoie.
Les 4 saisons du plafond
Le plafond représente les 4 saisons qui ponctuent la vie des hommes. Les quatre cieux, très différents par leurs couleurs, sont orientés autour du lustre central tel un soleil.
Toutes ces teintes subtiles sont très différentes des représentations colorées divisionnistes de son ami Seurat. Car Séon n’a pas une analyse scientifique de la vision, mais un « œil intérieur » particulier à la peinture symbolique.
Lorsque Benjamin Guinaudeau, journaliste pour La Justice, le questionne sur la théorie du symbolisme des teintes, Séon lui répond :
« Les couleurs ont des rapports, des correspondances, des harmonies avec nos sentiments, nos états d’âme, et cela avec de subtiles et infinies nuances. Je professe donc qu’il faut élire luminosités et teintes en rapport avec le sujet à traiter, et faire concourir leurs valeurs et nuances à quelque émotion esthétique, à quelque sensation passionnelle, sans quoi la plus suave chromatisation harmonique n’est qu’une romance sans parole. » (…) J’ai tâché d’appliquer ce principe dans mes œuvres. On le trouverait dès 1885, dans les fresques que j’ai peintes pour la salle des fêtes de Courbevoie. »
Au journaliste qui l’interroge pour savoir s’il se proclame idéaliste, Séon répond : « Je veux l’idéal, avec la science pour guide » et à propos du mysticisme, il déclare :
« J’en suis aussi parce que l’Art mystique est expression d’Idée et d’Ame. Mais encore une fois, que cela n’empêche pas la peinture d’être la peinture. De la plastique et pas de la littérature. »
Le plafond peint par Séon : les quatre saisons
![le Plafond](https://i0.wp.com/www.shcourbevoie.fr/wp-content/uploads/2022/04/12-Ensemble-plafond-reduit.jpg?resize=640%2C493&ssl=1)
Printemps
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La ligne horizontale suggère le repos, mais aussi cette posture intemporelle qui ressemble à l’art statuaire.
Séon, d’autre part, utilise parfois les théories de Seurat. Comme le dit Alphonse germain « concilier la ligne et une pratique de la touche divisée est assez acrobatique » Séon utilise des touches de tailles variées et arrive à mettre en œuvre une synthèse difficile grâce à son talent et sa sensibilité.
Toutefois, le plafond étant à grande distance en hauteur, la technique n’est pas perçue mais l’effet est ressenti.
Eté
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Le couleur ciel du printemps est plus « humide » que la sécheresse que l’on ressent à l’image de l’été. La comparaison entre les deux peintures ci-dessus révèle le talent de Séon : l’image du printemps est envahie par une herbe verte et humide, tandis que l’été nous montre des pailles desséchées et personnages cherchant le frais dans la baignade. Les nus sont intemporels.
Automne
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Dans « La Guirlande des Années » Colette explique pourquoi l’automne n’est pas un déclin mais un commencement. Le fruit du travail de la Nature au printemps et en été offre ses résultats. Cette peinture d’automne de Séon est la plus « active » des quatre tableaux des saisons.
Hiver
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Dans son livre sur Alexandre Séon, au chapitre « Attendant des murs » : Séon décorateur« , l’auteur Jean-David Jumeau-Lafond nous précise :
« Dans l’Hiver, le soleil couchant et le ciel qu’il irradie de sa lumière froide, sont en grande partie pointillés avec des dominantes de bleu, de mauve, de violet, de vert, ainsi qu’avec un « orange éteint » qualifié par Séon de « Couleur morte », et dotent le panneau d’une atmosphère mélancolique, que renforcent la symbolique des lignes et des motifs retenus : troncs coupés, arbres dénudés, figure de la vieille femme devant un feu qui fume, feuilles mortes etc. On constate toutefois que l’usage du point ou de la petite touche n’est pas uniforme. »
Un peintre et une peinture à redécouvrir
Les théories des divisionnistes sont intéressantes.
Dans son livre « Synthèses » (1974), Charles Bouleau cite un commentaire de Signac grand théoricien du Néo-impressionniste, et ami de Seurat ( voir schéma ci-dessous).
Signac, cité par Robert Rey dans « La renaissance du sentiment classique » décrit un fragment de sol herbeux de « La Grande Jatte ». Les phénomènes rétiniens entre l’ombre et la lumière sont les suivants :
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Trois sortes de noms ont été employés, par les critiques, pour décrire ce procédé :
- Les critiques hostiles parlent de la technique « Chiure-de-mouchisme » ! …
- D’autres emploient le mot de « Pointillisme » comme résultant d’un automatisme sans réflexions.
- Le schéma ci-dessus montre que chaque point est réfléchi. Ce qui demande un travail complexe. C’est le « Divisionnisme »
Séon a toujours échangé avec son ami de Seurat, mais il n’était pas partisan d’une peinture divisionniste se pliant trop aux lois de la science triomphante.
Sa vision « symboliste» dépassait l’analyse des mécanismes de la vision. Il croyait plus à « l’œil intérieur » qui s’appuie sur les idées et le sentiment.
Sur le plan strict de la technique il avait ses propres théories. Il conçoit ce qu’il appelait la « dégradation perspective du ton » car il reprochait au divisionnisme de tuer la perspective et le relief. Il reproche au divisionnisme la notion du trait, à laquelle il était attaché.
Séon a été professeur de dessin. Il a étudié et émis des études théoriques sur les couleurs et ses variations au fil de la journée et des saisons. Il a conçu un traité sur les sphères visant à étudier les sphères blanches ou colorées éclairées le matin ou au soleil couchant.
Surtout, il est sensible aux facultés que possèdent les couleurs, d’induire des sentiments. Il essayait : « (d‘) Exprimer quelque sentiment par un geste, une attitude ; par des rythmes et une arabesque, corroborer, expliciter le sentiment ; et le rendre affectif au moyen d’une photogénie et de coloration pertinemment symboliques ».
Ces quelques remarques démontrent que la peinture de Séon est le contraire : pas une peinture « veillotte » d’un simple disciple de Puvis de Chavannes, mort en 1898 quand Séon était au sommet de son art.
La réfection de la salle des mariages de Courbevoie, un chef-d’œuvre du genre, est l’occasion de réhabiliter son image et son art.
Au-delà de sa personne, c’est l’importance de la peinture symbolique, née vers 1885, qui démarre à cette période en France et en Belgique et qui, après avoir essaimé dans les Pays Nordiques, va prendre une dimension internationale.
Le poète Jean Moréas en parlait comme de « Vêtir l’idée d’une forme sensible ».
Le Mouvement symbolique en peinture et sculpture à Courbevoie
L’art symbolique trouve souvent sa source dans un poème ou une légende Antique. Sa connaissance nous aide à apprécier l’œuvre. Il existait dans le parc de Bécon une statue magnifique achetée par le Prince Stirbey « l’Amour des anges ». La connaissance du mythe à la source de la sculpture nous rend particulièrement sensible à cette œuvre.
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» L’Amour des Anges » par Bergonzoli. Parc de Bécon du temps du Prince Stirbey. ©SHC
La sculpture « l’Amour des anges » évoque un texte de la Genèse où il est dit que « les fils du ciel, c’est-à-dire les anges, ayant vu que les filles des hommes, jugeant qu’elles étaient belles et dignes d’être aimées, d’être protégées peut-être, et dès lors il y eu entre le monde d’en haut et le monde d’en bas, de pudiques entretiens et de mystiques alliances »
Cela évoque aussi le thème de « l’ange gardien » qui détient les délicates protections du ciel.
Ce passage de la genèse a inspiré de nombreux artistes comme Alfred de Vigny avec son poème Eloa ; ou encore Lamartine, ce texte ayant inspiré l’épopée surnaturelle de la « Chute d’un ange ».
Cette vieille légende a trouvé sous le ciseau de Bergonzoli une expression faite de légèreté et de fraîcheur dans la présence de l’ange – Ariel – dont l’amour cueille la jeune fille qui ne résiste pas et se détache de la terre. Des fleurs, roses et camélias forment une nuée accrochée à son voile. Ariel a ses ailes ouvertes et déployées en signe de joie victorieuse et la jeune fille résignée, mais heureuse, trahit dans son attitude et dans sa pose, les secrètes pensées de son esprit, les vœux intense de son cœur.
Certains y voient aussi le symbole du passage de la vie terrestre à la vie céleste. Sous cet angle, cette œuvre prend une dimension mythique, mystique, et symbolique.
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Le musée de Courbevoie a édité un livret sur Adolphe La Lyre.
Ce peintre Symboliste s’est installé à Courbevoie de 1897 à 1933. Il a peint le tableau grand format : « Les horreurs de la guerre » réalisé en 1914-1915. Cette œuvre a été offerte à la ville.
Ici, ce n’est pas un évènement littéraire qui inspire l’artiste, mais un terrible événement réel : la grande guerre. Dans une tonalité d’émotion à l’opposé de la précédente, axée sur l’amour. On voit comment la peinture symbolique arrive à rendre sensible toute la gamme des émotions humaines.
D’autres artistes symboliques seraient à citer. Une fois vu, un tableau d’Odilon Redon demeure toujours en mémoire.
Citons l’extraordinaire variété des thèmes et des styles d’autres peintures symboliques qui a envahi progressivement l’art pictural de l’Europe du Nord.
Avec la décoration de la salle des fêtes de Courbevoie, Séon inaugure le bal des peintures symbolistes.
Le Néo-impressionnisme ne survivra pas longtemps après la mort de Seurat. Le divisionnisme va progressivement disparaître et à partir de 1885, va se développer la peinture Symbolique. Après le «naturalisme» ( les impressionnistes) vient le temps du « rêve ». Ce mouvement va prendre une ampleur croissante en France, et également en Europe du nord, bien au-delà de la Grande guerre, où il sera remplacé par le « Modernisme » le «Cubisme » et bien d’autres mouvements.
Dans ce demi-siècle dominé par la science, l’énergie-vapeur et la paléo-technique, des artistes préfèrent le rêve à la science. En France, c’est Puvis de Chavannes, Séon, Gustave Moreau, Osbert, Emile Bernard (à Colombes) et son ami Gauguin dont la peinture, loin des lois de la perspective nous séduit par ses couleurs et sa puissance décorative . C’est Paul Sérusier ou encore l’extraordinaire Odilon Redon et d’autres encore.
Le Symbolisme dans l’Europe de 1885 à l’entre-deux guerres
Les pays du Nord présentent des peintres de talents :
- en Belgique et aux Pays Bas avec Ferdinand Khnoff, Jean Delville et Félicien Rops.
- dans les pays scandinaves, avec Ferdinand Holler, Edward Munch et les éblouissants tableaux de Gustave Klimt.
- dans les pays Slaves, avec l’extraordinaire peintre et affichiste Mucha et avec Fantisek Kupka … qui nous ramène à Courbevoie avec le groupe des Peintres Puteaux, décrit par Jean Bon.
Parmi ces peintres, il faut citer la naissance du mouvement cubiste, dont le peintre Albert Gleizes. Courbevoisien durant ses études, il a été un théoricien de ce mouvement, avec son ami Metzinger. Jean Bon a fait revivre ce monde des artistes putéolien et courbevoisien avec beaucoup d’humour dans un petit fascicule.
Le Bassin méditerranéen verra, en Italie par exemple, Umberto Boccioni et plus tard un espagnol excentrique, Salvador Dali, ainsi que Chirico ou Paul Delvaux.
Le «rêve » continuera par la suite avec le mouvement Post-symbolique : Marcel Duchamp, Francis Picabia, Max Ernst. Cette évasion franchira encore de nouvelles étapes avec l’Art abstrait.
Cette fantastique succession de visions de peintres, peut paraître parfois lointaine de l’art de Séon. Mais il n’est pas absurde de penser que Séon a apporté une réflexion à un art en pleine évolution.
Ce peintre a su poser des questions de fond.
Surtout il laisse à ville de Courbevoie un chef d’œuvre monumental, passionnant à analyser et qui a participé au développement d’un art pictural « le Symbolisme ».
Rappelons que cette forme particulière s’est également développée dans les autres arts : poésie, théâtre, sculpture, musique… Mais ceci est une autre histoire !
- Le Symbolisme. Collection du Petit palais. 1988-1989 Henri-Fantin-Latour (Le Graal. Détail)
- Le Symbolisme. Michel Gibson Taschen – 1994 Odilon Redon (Le Cyclops)
- Le Symbolisme. Rodolphe Rapetti 2005 Flammarion Odilon Redon (Paul Gauguin)
- Alexandre Séon. La beauté Idéale Silvana Editoriale – 2015. Alexandre Séon (La pensée. Détail)
Bernard Accart, président de la Société Historique de Courbevoie