2022 sera l’année du 230e anniversaire du massacre des Gardes suisses de la caserne de Courbevoie le 10 août 1792 aux Tuileries. Ce sera également la date anniversaire de la chute de la Royauté et la naissance de la République.
2022 marquera l’anniversaire des 60 ans de la destruction de cette caserne devenue « Caserne Charras ». La libération d’une emprise foncière considérable permit la construction du vaste « Complexe Charras », appendice de La Défense naissante.
Aujourd’hui, c’est tout le cœur de ville qui se transforme de la Défense à la place Hérold. Nous reviendrons sur de nombreux aspects de ces événements historiques locaux, il nous semble intéressant de replacer ces événements passés dans un contexte historique plus large.
La conférence commence par une question :
Pourquoi existe-t-il à Courbevoie, quartier Bécon, une rue du 22 septembre ?
La « rue du deux-septembre » à Courbevoie symbolise la date du début de la 1ère République (22 septembre 1792) sans que celle-ci ait été officiellement proclamée, s’appuyant sur une Constitution. D’ailleurs, la 1ère République ne sera jamais officialisée … ni jamais abolie.
Genèse d’une Révolution : du 5 mai 1789 au 22 septembre 1792
Au terme de trois ans ponctués d’évènements historiques, nous arrivons à la chute de la monarchie le 10 août 1792 et à l’instauration de la première république le 22 septembre 1792 par la Convention, récemment élue à cet effet et succédant à l’Assemblée Législative.
Louis XVI était suspendu et il fallait bien nommer un gouvernement et donner un nom au nouveau régime.
Ce fut une issue inattendue qui n’était pas du tout l’objectif initial des Etats Généraux, même transformés en Assemblée Constituante en juin 1789.
L’immense majorité des députés voulait une monarchie constitutionnelle à l’anglaise (cf. 1688 Marie et Guillaume d’Orange : the Glorious Révolution).
La Constituante, en se dissolvant en 1791, après avoir rédigé une constitution, avait rejeté sans ambiguïté l’idée de république.
Le Tiers-Etat (des bourgeois) voulait en effet une monarchie constitutionnelle à l’anglaise.
Le chemin était ouvert pour aller vers la Guerre, les insurrections et les massacres et finalement aboutir à la dictature de Robespierre… et à l’Empire.
Les parties prenantes
Les Clubs ont été les terrains d’entraînement des révolutionnaires, puis en ce qui concerne les Jacobins, un outil de préparation et d’incitation à des insurrections violentes à venir. Les Jacobins (Robespierre, Marat, Brissot, Condorcet …), les Cordeliers (Danton), les Feuillants (La Fayette) plus modérés en sont les principaux. Les Girondins sont des Jacobins.
La Commune de Paris est une construction des Jacobins ; elle se compose de 48 Sections correspondant aux quartiers. Certaines (Saint-Antoine) sont très influentes et violentes. La Commune deviendra Commune insurrectionnelle en juin 1792.
Les Assemblées, dont l’absentéisme est important, sont souvent perturbées et influencées par les cris de la « populace » et même des députés. On y vote souvent nominativement sous le « contrôle » de ceux, plus nombreux que les députés, qui influencent, par leurs vociférations, les votes. La populace est armée de piques, mais aussi certains députés sont armés. Ce « modèle de démocratie » s’amplifiera avec le temps. Même après la chute de Robespierre, il y aura des envahissements de la Convention thermidorienne par des foules jacobines, y compris avec une tête de député au bout d’une pique.
Les évènements qui ont fait l’histoire
Le 14 juillet 1789 a surtout servi au peuple pour se procurer des armes et de la poudre avec des complicités.
La nuit du 4 août 1789 est celle de l’abolition des privilèges. Le mot privilège doit être pris dans un sens plus large que la suppression de la noblesse. C’est l’abolition de tous les droits et privilèges féodaux ainsi que de tous les privilèges des classes, des provinces, des villes et des corporations, à l’initiative du Club Breton, futur « Club des jacobins »
Le 5 octobre 1789, une foule parisienne se rue à Versailles et oblige le roi et sa famille à la suivre à Paris, protégée par la Garde Nationale. La royauté s’installe définitivement aux Tuileries.
La famille royale cependant, fuit maladroitement Paris le 20 juin 1791, et est reconnue à Varennes ; elle est obligée de revenir sous escorte à Paris.
Le Roi va être contraint d’adopter la Constitution, qui lui accorde le droit de veto sur certaines décisions de l’Assemblée. Il l’exercera surtout pour des décisions relatives au clergé. C’est l’exercice jugé trop fréquent de ce droit de veto qui conduira, moins d’un an plus tard, à la chute brutale de la royauté le 10 août 1792.
Aspects militaires
Création de la Garde nationale
Sélective au début, la Garde nationale enrôle ensuite toutes sortes de populations. Souvent, de nombreux éléments se rangeront du côté des rebelles; ce sera le cas lors de la journée du 10 août 1792. La Fayette, devenu Lafayette, en sera le commandant.
La création de la Garde nationale annonce la fin inévitable du service des Suisses en France, en les privant de leur raison d’être. Parce qu’appelées à gérer les mêmes situations, ces deux institutions militaires vont très rapidement entrer en concurrence dans le cadre de rapports à géométries variables selon les lieux, les époques, et les variantes de Gardes Nationales, auxquelles les Suisses sont confrontés.
Les Gardes Suisses
Introduits sous Charles VII à la fin de la Guerre de 100 ans, ils serviront la France jusqu’au 10 août 1792 et leur massacre aux Tuileries.
La mairie de Rueil-Malmaison a converti en partie son ancien bâtiment municipal en musée des Gardes suisses et un musée à été organisé dans un corps de bâtiment à l’entrée de la Caserne.
Les 3 casernes construites sous Louis XV: Courbevoie, Rueil-Malmaison et Saint-Denis, se substituent au logement chez l’habitant des gardes suisses depuis l’origine au 16ème siècle.
La Caserne des gardes suisses de Courbevoie, qui deviendra la « Caserne Charras » est détruite en 1963, mais la façade de l’avant-corps central a été conservée et remontée dans le parc du château de Bécon-les Bruyères.
En 1969, sur ce site, l’architecte Henri Pottier construit le Centre Charras. Très novateur, il comprend un centre commercial, un hôtel, une piscine olympique, une patinoire, une station-service, 1 000 logements et 1 600 places de stationnement. Plus 2 hectares d’espaces publics pour la place Charles-de-Gaulle.
Aspects politiques
Une monarchie constitutionnelle s’appuyant sur la Constitution du 1er octobre 1789 sera promulguée le 1er octobre 1791 par la nouvelle Assemblée Législative (745 députés élus au suffrage censitaire à 2 niveaux).
La Constitution entre en vigueur le 14 septembre 1791 avec la prestation de serment de Louis XVI. Elle met fin à la « République de fait », établie à la suite de la fuite à Varennes et de la suspension de fait du roi, lequel retrouve une partie de ses pouvoirs.
Les députés de la Constituante ne pouvaient pas être élus à la nouvelle Assemblée Législative. Celle-ci verra l’arrivée de nouveaux venus: Fouché, Condorcet, Vergniaud, Brissot, Roland …
L’Assemblée, le 20 avril 1792, vote la déclaration de guerre à la quasi-unanimité (accord du Roi et refus de Robespierre, non membres de l’Assemblée). Jusqu’à Valmy, le 20 septembre 1792, ce sera une suite de défaites de l’armée républicaine.
A partir de Valmy et de la retraite prussienne incompréhensible : les 20 000 boulets de canon tirés par les Français ont produit leur effet. Une série de victoires françaises conduiront à la conquête du territoire belge.
La suite sera bien moins favorable à partir de mars 1793, avant de le redevenir en 1794.
Le fil des événements
Le 20 juin 1792, la Commune, poussée par les Jacobins et les Cordeliers, organise une insurrection. Les Tuileries sont envahies et le Roi est apostrophé par « la populace.». Le roi a résisté, malgré la pression.
Pétion, le maire de Paris parvient à faire évacuer les Tuileries par le peuple. La monarchie a tenu bon. Danton et les Girondins/Jacobins ont échoué.
Une Commission de 21 membres, présidée par Condorcet « gouverne » sans pouvoir décider, faute de majorité à l’Assemblée qui n’est pas prête à abolir la Monarchie.
Lafayette abandonne son armée pour plaider à l’Assemblée (mis en accusation et acquitté)
Le Palais du Louvre était très différent à l’époque. La rue de Rivoli n’existait pas et il n’avait pas subi les destructions de la commune en 1871.
Les Prémices du 10 août 1792 : la Commune, érigée en Commune Insurrectionnelle « jacobine » (sorte de Gouvernement dictatorial qui n’est plus de facto la Commune de Paris), à l’initiative des Jacobins et de Danton, engage les hostilités.
20.000 insurgés marchent vers les Tuileries. La Garde Nationale est incertaine, sans commandement; une grande partie se ralliera aux insurgés avec ses canons. 950 Gardes suisses et du personnel.
La Journée du 10 août 1792
A 5h du matin : revue des militaires des Tuileries par le roi.
7 heures : 2 insurgés menacent avec des piques les Suisses de garde. Les autres Suisses tirent. Nombreux morts parmi les insurgés.
Louis XVI et sa famille se réfugient à l’Assemblée ; les moyens militaires de réprimer l’insurrection existaient, mais il manquait le commandement.
Calme relatif, mais des Marseillais réussissent à pénétrer dans les Tuileries. Bataille générale.
Mandat, Commandant de la Garde Nationale aux Tuileries convoqué, puis assassiné.
Pétion, (Maire), semi prisonnier (il avait calmé l’insurrection du 20 juin)
Pendant ce temps, le Roi avait donné un ordre écrit aux Suisses de se retirer à Courbevoie, mais il n’est pas parvenu à tous. Certains se retirent derrière les Tuileries et seront massacrés, de même à l’Hôtel de Ville.
Un combat général s’ensuit avec massacres perpétrés avec une intensité rarement atteinte par la populace et les insurgés, dont des éléments de la Garde Nationale de Paris. Une sauvagerie sans limite : 400 morts environ parmi les insurgés. 650 parmi les Gardes Suisses. Les insurgés sont maitres de la place vers 13h.
Un Comité Communard avait plus ou moins géré l’opération depuis l’Hôtel de ville. S’en suivent des massacres dans les prisons à partir du 2 septembre avec l’assentiment des extrémistes, de facto au pouvoir (Marat, Danton…). Aucune réaction de l’Assemblée, paralysée.
Suspension officielle de la Royauté le 19 septembre 1792, puis Dictature de la Commune.
Le Roi et sa famille sont enfermés au Temple.
Possibilité pour tout un chacun d’acquérir les biens confisqués aux nobles et autres riches.
Aspect militaire : 3 septembre 1792 : chute de Verdun ; la route de Paris est ouverte aux envahisseurs. Brunswick approche de Paris. Puis victoire inattendue … et bizarre de Valmy, le 20 septembre 1792
20 septembre 1792 : fin de la Législative. « Le miracle» de Valmy est encore ignoré.
La Convention Nationale (élue au suffrage universel à 2 échelons avec plus de 50 % d’abstentions) gouverne la France du 21 septembre 1792 au 26 octobre 1895. La convention : 749 députés, 140 Montagnards, 160 Girondins, 400 indécis ( Marais=Plaine)
Majorité Girondine. Gouvernement Girondin jusqu’au 1er juin 1793. ( 160 Députés) : Les Girondins sont désireux d’arrêter la Révolution « à son stade bourgeois »
« Peu de votants de 1792 pouvaient deviner qu’ils se donnaient pour 3 ans un dictateur à sept cents têtes »
21 septembre 1792 : abolition à l’unanimité de la royauté, par la Convention nouvellement élue.
22 septembre 1792 : Acte premier de la République qui n’est cependant pas officiellement proclamée … en attendant une Constitution qui n’arrivera pas avant 1795. Situation économique difficile. Les Girondins se sentent en force pour abattre les Montagnards.
L’adoption d’une constitution impliquerait la dissolution de la Convention, ce que les Montagnards ne veulent pas. Le projet de Constitution Condorcet soutenu par les Girondins ne parvient pas à s’imposer. Les Montagnards en profitent pour écrire un projet bâclé bloquant. Il n’y aura pas de Constitution avant la chute de Robespierre. Victoires militaires françaises pendant 6 mois. Le 19 mars 1793, défaite de Dumouriez à Neerwinden.
7 novembre 1792, ouverture du procès de Louis XVI à la Convention.
Les Montagnards sont plus influents dans l’organisation du procès et les Girondins se divisent.
La Convention vota le 17 janvier 1793 la mort du roi par 361 voix pour et 310 voix contre, l’exécution eut lieu le 21 janvier 1793.
Lors du débat sur le Tribunal révolutionnaire, une foule excitée par les Jacobins et les Cordeliers menace la Convention.
Députés Girondins et Montagnards armés sont prêts à une lutte à mort au sens propre du terme.
Elle n’aura pas lieu ce jour-là.
Le 2 juin 1793, sous la menace des canons de la Garde Nationale, la Convention décrète l’arrestation de 29 députés et de deux ministres girondins. La plupart seront guillotinés en octobre 1793.
Le curé de Courbevoie Pierre Hébert fut Guillotiné à cette époque.
16 octobre 1793 Exécution de Marie-Antoinette.
A la dissolution de la Convention en 1795, une centaine de députés auront perdu la vie ; la grande majorité avant Thermidor (juillet 1794) et la chute de Robespierre.
Les quatre Républiques qui se sont succédées en France depuis 1848 présentent un trait commun : une Constitution.
La Première République est singulière à cet égard. Même si on néglige les multiples ruptures qui ont marqué son cours, trois régimes au moins en composent l’histoire : Une dictature parlementaire (1792-1795), Une République censitaire (1795-1799), enfin le régime plébiscitaire instauré à la suite du coup d’État du 18 Brumaire (9 novembre 1799) et dont l’établissement du consulat à vie au profit de Bonaparte prépara dès 1802 la transformation en monarchie héréditaire. Peut-être même faut-il inclure dans l’histoire de la Première République le régime impérial (1804-1814), puisqu’il ne reniera jamais son enracinement révolutionnaire. Au moins trois régimes et quatre Constitutions : 1793, 1795, 1799, 1802, peut-être 1804 et 1815.
Epilogue :
La Première République n’est pas un régime, mais une histoire dont les bornes chronologiques sont par ailleurs incertaines. Elle ne fut en effet ni proclamée, ni abolie.
Lors de sa première séance, le 21 septembre 1792, la Convention nationale proclama solennellement l’abolition de la royauté, mais sans rien dire de la nature du régime qui devait lui succéder.
La République était déjà une réalité, mais elle fit son entrée sans bruit lorsque, quelques jours plus tard, les actes publics commencèrent à être promulgués au nom de la « République française ».
La Première République ne fut pas davantage officiellement abolie… avant le rétablissement de la Royauté par Louis XVIII en mai 1814.
FIN DE LA CONFERENCE DE DANIEL HAUMONT
La Société Historique remercie Daniel Haumont d’avoir donné cette conférence avant la date du 15 décembre 2021. Après cette date, les conditions sanitaires se modifiaient avec des contraintes de procédures accrues pour l’organisation de réunions.
Bernard Accart Président de la Société Historique de Courbevoie
Photo de couverture : Daniel Haumont de la Société Historique de Courbevoie dans la salle des associations Gaultier ©SHC